Olaia García Alvarez,la salsa dans la peau
En quelques décennies, la salsa, une danse de couple à l’origine, a fini par déferler sur le monde. Cette musique venue de Cuba en Amérique centrale, a commencé par essaimer à Porto Rico, en Colombie, avant de séduire la planète grâce à la sensualité qui s’en dégage et la gestuelle qu’elle provoque. Aujourd’hui, on peut la danser dans les rues de Paris, New York, La Havane, Cali, Madrid, Pékin, Moscou, Londres, Yaoundé ou Istanbul..
Pour nous parler de ce joyau du patrimoine musical mondial, nous ne pouvions trouver mieux qu’une championne de France et du monde en couple. En l’occurence Olaia García Alvarez, une Espagnole d’origine et une française de coeur. Installée à Montpellier depuis 2013.
Son palmarès en salsa couple est édifiant : Octobre 2022 : championne du monde au festival mondial de salsa de Cali et deux fois championne du monde WDSF ( World Dance Sport Fédération) à Cali ; Janvier 2023: championnat du monde World Salsa Summit à Miami. Le couple compte également quatre titres de champions de France en 2018, 2019, 2022, 2023.
La native de San Sebastián, capitale de la province du Guipúzcoa dans le pays basque espagnol, à la passion de la salsa en bandoulière.Il faut voir comment elle en parle. Les yeux brillants, un sourire contagieux et une voix à la fois douce, légèrement frisonnante et un enthousiasme authentique. Dans ce long et passionnant entretien, elle n’a éludé aucune question. Talentueuse jusqu’à l’insolence, belle comme une étoile échappée des profondeurs de l’espace et surtout riche d’une humanité qui fait du bien en ces temps troublés. Paroles d’une grande artiste et d’une femme bonheur.
Bonjour Olaia ! D’abord, comment pourrions nous aborder cet entretien sans féliciter le couple de danse que vous formez avec Jeremy Martinez pour le titre de vice-champions du monde de Salsa couple professionnel ON 1 (Eurosonlatino) remporté en décembre 2023 à Cancun. Racontez-nous cette belle aventure …
L’aventure a été très satisfaisante pour notre duo dans les deux compétitons disputées :d’abord à Cancun puis à Orlando. Puisque nous avons pris la deuxième place dans les deux mondiaux Une belle récompense pour l’immense travail que nous avons accompli et pour les correctifs que nous avons su apporter à notre travail. Ce qui nous a permis de bien traduire sur scène ce que nous voulions proposer au public. Et c’est la chose la plus importante pour un(e) artiste. Une performance que nous n’avions pas su concrétiser dans certaines occasions précédentes. Je pense que le fait d’avoir pris un coach mental a été important. Cela nous a vraiment aidé à faire preuve de la même énergie et du même enthousiasme que durant les entraînements et répétitions.
Cependant, ce n’était pas votre premier succès. Vous vous étiez déjà imposé (e)s à Cali (Colombie) en 2022 et aux Etats-Unis au Miami The Summit en janvier 2023 …
Oui, en effet, la première fois que nous avions remporté le titre mondial c’était en Colombie au festival mondial de la salsa de Cali, puis, une année après, nous avions défendu victorieusement notre titre à Miami. Ces résultats ont été payés par d’immenses sacrifices sur le plan familial et relationnel pour ne citer que ces exemples. C’était des heures passées en salle pour les répétitions ainsi qu’une solide préparation physique et mentale. Et nous devions aussi veiller à bien se nourrir et à s’assurer un sommeil de qualité. Impossible d’avoir une vie sociale avec un tel régime.
Décrivez-nous, si vous le pouvez, le programme de danse qui vous a permis de l’emporter et expliquez-nous les éléments techniques et chorégraphiques que notent les membres du jury ?
Il faut savoir que dans les programmes de danse, la chorégraphie dure deux minutes seulement et nous devons donc réussir à faire entrer notre projet artistique dans ce temps si court. Le jury tient compte de beaucoup de choses : la présence scnénique, le timing, le déplacement de la chorégraphie, sa richesse, son originalité, donner du sens à la danse et la vivre pleinement. Il faut qu’elle ait une histoire. Il n’est bien sûr pas question de se contenter d’enchaîner des passes, aussi belles soient-elles. Le jury doit vraiment sentir que “vous êtes dedans”. Et en effet, quand “vous êtes dedans” tout devient fluide. Toutefois, malgré toutes ces exigences, on ne peut pas ne pas tenir compte du facteur X qui est tout simplement la sensibilité de chaque juge. Et qui relève en quelque sorte de l’intime.Pour remporter le titre, il faut remplir toutes les cases retenues par le jury.
Par ailleurs, sur quels critères et par qui se fait la sélection des danseurs engagé(e)s au championnat du monde ?
Il n’y a pas réellement de sélection pour disputer un championnat du monde. On peut s’y inscrire directement et disputer les qualifications. Le championnat de France est plus structuré. Il faut arriver dans les 3 premiers sur une coupe de France et se présenter dans le son championnat régional.
Quand on regarde les vidéos de cette compétition on se rend compte que le le niveau est très élevé et semble exiger aussi une capacité physique exceptionnelle…
Oui, le potentiel physique est important. Car nous avons affaire à un exercice qui fait la place à l’explosivité. Laquelle se cultive en salle d’entraînement en multpliant des exercices avec des plages de repos. Aujourd’hui, quand le niveau s’élève, les danseurs et danseuses font parfois appel à un coach sportif qui adapte son travail à la spécificité de cette épreuve qui ne dure que deux minutes. C’est ce que nous avons fait, Jeremy et moi.`
Combien d’heures d’entraînement faut-il pour espérer rester compétitif(ve) et progresser si c’est encore possible ? Cela dépend de notre programme. Les choses s’intensifient lorsqu’on s’approche d’une compétition.Mais c’est la création de la chorégraphie qui exige beaucoup de temps.Parfois, on peut consacrer deux heures pour mettre au point un seul mouvement de quatre secondes. Et parfois cela ne suffit pas. Alors, il faut remettre ça le lendemain, et plus encore si la perfection n’est pas atteinte. Bref, la réalisation d’une chorégraphie peut demander jusqu’à quatre heures de répétition par jour. C’est un travail à la fois qui nécéssite imagination, effort et persévérance.
Est-il nécessaire,pour être au top le jour « J », de s’astreindre à une préparation mentale par exemple ?
(Son visage s’éclaire d’un large sourire). Elle est essentielle !Cela fait deux ans que nous faisons appel à un préparateur mental, en l’occurence Benoît Brial, et, croyez-moi, cette aide extérieure fait vraiment la différence. C’est le jour et la nuit. Même pour Jeremy et moi qui travaillions ensemble depuis 2011. Et je trouve dommage que ce travail mental ne soit pas assez reconnu dans le milieu de la danse professionnelle. Je vous cite un exemple qui m’a toujours frappé. Quand on est en coulisses, parfois, je vois les gens s’entraîner et je dis “Wouawoo, ils sont super forts. C’est énorme la projection, les mouvements précis etc”. Et puis, un jour, tu les vois sur scène et tu te dis: “Ah, mince, ce n’est pas du tout la même chose ! Mais qu’est ce qui a changé ? Et bien, il a changé qu’il y a le jury, le public, les lumières, la pression du résultat…
La reconnaissance des Latino-Américains
On pourrait s’attendre à ce que la compétition internationale soit dominée par des latinos américains et in fine ce sont des Européens qui la gagne. Etonnant, non ?
Cette question est très intéressante et elle peut être éclairée par cette anecdote que je vais vous raconter. La première fois que nous avons gagné à Cali, les danseurs,les techniciens locaux nous regardaient comme si nous étions des extraterrestres. Il semblaient vraiment étonnés et l’air de dire : “Des Français engagés dans une compétition de salsa ?” Mais, petit à petit, nous avons commencé à gagner leur respect parce qu’ils nous voyaient en train de nous entraîner tous les jours à la même heure et au même endroit. On était devenus les “répétiteurs”. Et puis, après notre victoire en finale ce sont 30 000 personnes qui ont fêté notre titre par des “ Francia, Francia!” émouvants. Il ne faut pas perdre de vue que Cali est la capitale mondiale de la salsa ( Salsa Caleña) et voilà que nous gagnons la reconnaissance des latinos américains. Toute ma vie, je me souviendrais de ce moment incroyable. Mais c’est aussi le signe que cette danse a bien quitté son nid pour conquérir le monde.
Comment s’est faite la rencontre avec votre partenaire de danse, Jeremy Martinez ?
Devinez ? Notre rencontre a eu lieu dans un festival de salsa. C’était à Pau dans un concours organisé par la compagnie Siembra où dansait Jeremy. Moi j’ai dansé avec mon meilleur ami Iñaki. Et nous avons gagné le prix qui consistait en une invitation tous frais payés au Tabarka Festival en Tunisie. Et c’est là que notre couple a commencé à se former. Et cette union dans la vie comme sur scène a duré onze ans au cours desquels nous ne sommes pas restés un seul jour sans travailler et vivre ensemble. Puis, il y a un an nous avons décidé de ne plus partager que la salsa et l’académie créée à la sueur de nos passes sur les parquets des salles de France et du monde entier.
Vous êtes née et avez grandi au pays basque espagnol. Quand et comment vous vous êtes retrouvée à vivre de l’autre côté de la frontière, en France ?
J’avoue que la différence avec l’Espagne et notamment avec ma région natale m’a sauté aux yeux dès que je suis arrivée à Montpellier. J’ai eu la sensation de changer de monde (éclat de rire). Hormis la nourriture, ce qui m’a manqué c’est cette vie collective très forte que nous avons à San Sebastián. Nous aimons nous retrouver le soir pour de grandes tablées entre amis, collègues de travail ou en famille dans un bar ou dans un restaurant pour échanger, refaire le monde ou tout simplement rire. Ce qui me manque aussi, c’est l’ambiance des fêtes culturelles où tradionnelles chez nous, où on peut s’habiller différemment, et les nombreux carnavals. J’aime bien par exemple des fêtes comme la “Santo Tomás” le 21 décembre, “La tamborrada” le 20 janvier et toutes les fêtes estivales telle la “Semana grande“.
En dépit de ces quelques réserves,qu’est-ce qui vous séduit en particulier dans le Languedoc-Roussillon ?
Vous serez peut-être surpris si je vous dis que j’aime surtout le temps qu’il fait (éclat de rire) et qu’il y a beaucoup de soleil . Il est vrai qu’en Espagne aussi, il fait souvent beau. Mais à San Sebastián, il faut savoir que la pluie s’invite un peu trop à mon goût. Sincèrement, le Languedoc-Roussillon est une très jolie région. Il y a la mer, les rivières, les montagnes. Il fait si bon vivre ici. Comme je viens de vous le dire, il y a quand même quelques petites différences avec mon pays basque. La convivialité est plus forte de l’autre côté de la frontière. C’est mon ressenti en tout cas.
Dans votre communication professionnelle, vous parlez toujours de salsa portoricaine. Pouvez-vous nous préciser les différences qui existent – s’il y en a – avec la salsa cubaine et la salsa colombienne ?
Il y a trois types de salsa. La salsa portoricaine, dite salsa “en ligne”, qui se danse entre guillemets dans une ligne droite. Ensuite, il y a la salsa cubaine qui se danse plutôt en ronds. La danseuse et son partenaire se tournent autour. Enfin, la salsa colombienne se caractérise par des jeux de pieds très rapides, une grande tonicité et des acrobaties aériennes entre autres.
Avez-vous évolué dans un environnement familial favorable à la musique et à l’art en général, grâce à vos parents, frères ou soeurs ?
(Un temps de réflexion). Non, je ne peux pas dire ça. Si j’ai appris a aimer le théâtre dès l’enfance par exemple – j’en ai fait à l’école – la tendance, en famille, n’était pas vraiment favorable à mon orientation vers une carrière “artistique”. Comme nombre de parents, les miens voulaient pour moi une formation classique,la seule, selon eux, en mesure de m’assurer un avenir serein. Pour mon père, le travail, c’est le travail. La musique ou la danse c’est juste pour s’amuser. Idem pour ma mère qui a freiné mon ambition quand, à 18 ans, j’ai voulu m’installer à Madrid pour suivre des cours d’art dramatique avec le projet de devenir actrice et comédienne. In fine, et pour être juste, mes parents n’étaient pas enthousiasmés par mes choix universitaires et professionnels, mais ils ne m’ont pas bloquée. Et c’est comme ça que j’ai pu suivre mon instinct et mes envies
En parallèle de la compétition, vous assurez des cours et des stages grâce à la Salsacademia que vous avez crééé à Montpellier avec votre partenaire et ancien compagnon. C’est un marché important dans le sud de la France où vous êtes basée ?
Nous avons crée cette structure en 2016. Au début, on ne peut pas dire qu’il y avait foule. Mais je crois que grâce au “bouche à oreille”,on a vu rapidement le nombre des élèves augmenter. Et surtout, nous avons réussi à fidéliser ceux que nous avions conquis la première fois. L’ambiance y est très bonne et Jeremy et moi en sommes contents.
Peut-on dire que Olaia García Alvarez est une passionnée intraitable et perfectionniste ? (Rires). Voilà une question intéressante. Je l’ai été mais je ne le suis plus. Car un jour j’ai compris que je ne pouvais pas être parfaite. Dans la vie, personne ne l’est. Et j’ai un peu lâché prise. Quand je travaille un mouvement par exemple, je puise bien sûr sans compter dans mes qualités pour y parvenir.Mais je ne m’en veux pas si dans ma perception ce n’est pas parfait. Je ne veux pas être dure avec moi-même. Car il y a déjà les autres pour me juger. Je pars du principe que plus on va s’aimer soi-même et aimer notre art et plus on a la possibilité de convaincre notre public et même le jury le plus exigeant. L’amour du travail bien fait est très important.
Cette vie dense et trépidante laisse t-elle de la place à d’autres passions ?
Je vais être honnête. Je ne suis pas sûre que j’aurais réussi à devenir multi championne du monde si j’avais mené d’autres activités ludiques en parallèle. Ce que je sais du ressenti et du vécu des autres danseurs et danseuses de haut niveau ayant gagné des trophées me renforce dans cette conviction. La vie d’un champion, c’est une suite d’exigences : entraînement et encore entraînement, avoir une bonne hygiène de vie, bien manger, bien dormir rester concentré etc. Sans compter ce que nous devons faire dans la gestion de l’Académie :préparer les cours et les stages, les assurer… Notre vie tourne depuis des années autour de la salsa.
Abordons maintenant cette question importante et dans l’air du temps. L’accélération de la bataille pour l’égalité des droits entre les hommes et les femmes est devenue un sujet encore plus brûlant. Mais il semble bien que l’Espagne est le pays – popula- tion et institutions officielles comprises – le plus en avancé sur le Vieux continent. Avez-vous une explication au sujet de cet avant-gardisme de votre pays de naissance?
Je ne sais pas vraiment si l’Espagne est en avance par rapport à d’autres pays en Europe et dans le monde dans ce combat pour l’égalité des droits et contre les violences conjugales, mais il est vrai que le débat sur ce sujet y est permanent. Il y a clairement une libération de la parole des femmes qui n’ont plus l’intention de se laisser faire. Personnellement, je ne peux pas vous énumérer toutes les lois et les engagements des pouvoirs publics. Je sais par contre que des slogans comme ” Dis non à la ségrégation sexiste “, ” “Dis non aux agressions sexuelles” habillent les murs de nos villes et villages. On en découvre partout. Comme à la sortie de Pasai Antxo la ville où habite ma mère. Cela signifie bien que nous sommes loin de régler ce fléau. Je vous confie une anecdote que j’ai vécue tout récemment et qui montre qu’il y a vraiment beaucoup de chemin à parcourir. Un jour, alors que je disais à un voisin que ma voiture avait un problème pour démarrer sans que je ne lui demande aucun service, il me répond littéralement: ” Comme vous les femmes avez l’habitude de pleurnicher, appelez un garagiste et racontez lui votre malheur“. J’ai trouvé cela hors de propos et surtout édifiant. Oui, il y a encore tant à faire pour changer les mentalités.
Juste à votre retour d’Orlando, Etats-Unis, où vous aviez participé à votre deuxième championnat du monde en deux mois, vous avez annoncé, dans un post laconique sur vos pages officielles, que vous et votre partenaire, Jeremy, aviez décidé de mettre fin a votre duo salsa qui durait depuis 13 ans. Et que vous arrêteriez aussi, d’ici l’été, vos cours à l’Académie de Montpellier. Une sacrée décision !
On a été un couple pendant 12 ans presque, ça n’a pas été toujours évident. On a arrêté d’être ensemble sentimentalement et à partir de là (peut-être avec plus de lâcher prise sur la compétition) on a commencé à gagner les mondiaux. À la fin de l’été nous fermerons l’Académie.Pour ma part, je passe à une autre étape de ma vie. Maintenant, je suis dans une période de questionnement “existentiel”: qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? Est-ce que je vais continuer la danse ? Est-ce que vais reprendre des études ? Je suis un peu perdue ! (grand éclat de rire). En fait, j’aimerais tout simplement me poser, avoir de nouveaux projets et réfléchir autrement à la vie que je souhaiterai mener. J’espère que l’horizon va se dégager pour moi. Mais, j’ai confiance en ma combativité. Et je compte bien suivre ce que mon coeur et la raison vont me proposer pour la nouvelle page de ma vie qui se profile.
@Propos recueillis par Fayçal CHEHAT
LES PRÉFÉRENCES D’OLAIA
Votre livre : “Je t’aime, je te trompe” ( Ester Perel)
Votre film : Avatar
Votre série : Arsène Lupin
Votre chanson : “I don Know why “( Nora Jones )
Votre ville: San Sebastien
Votre peintre : “Je ne sais pas ”
Votre acteur : Morgan Freeman
Votre actrice: Meryl Streep
Votre parfum : Irréstible Givenchy
Votre sport : Salsa
Votre talent caché : Il est caché et je ne l’ai pas trouvé
Votre voyage : L’imagination
Crédit photos: Olaia Garcia Alvarez et pages officielles de la championne du monde.
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