Espagne: le féminisme aux tripes !

Il n’y a vraiment plus de doute, en matière de lutte pour une authentique égalité entre les femmes et les hommes, l’Espagne est le pays le plus en pointe  sur le continent européen voire dans le monde. Si le mouvement de libération et la bataille  contre les violences et  pour l’égalité des droits se sont accélérés ces dernières années, particulièrement sous la houlette du Parti socialiste, les premiers acquis du genre féminin remontent au début du siècle dernier,1931, lorsque la constitution lui accorde un droit de vote qui ouvre le chemin à d’autres droits sociaux tels le divorce par consentement mutuel, la garde des enfants, le droit d’ouvrir un compte bancaire, l’entrée en fanfare dans le bassin d’emplois publics tous niveaux compris et même une ouverture, à un droit à l’avortement (1936) … »

Cet avant-gardisme espagnol était symbolisé par  l’article 36 de la constitution  republicaine de 1931 qui  proclame clairemenr que  « Les citoyens de l’un ou l’autre sexe, âgés de plus de 23 ans jouiront des mêmes droits électoraux, conformément aux dispositions législatives. » 

Cette période bénie pour le « deuxième sexe » si l’on veut reprendre la qualification signée Simone de Beauvoir  est bien décrite par Carole Viñals,  une éminente spécialiste du féminisme espagnol  dans un entretien accordé au quotidien français Ouest France le 17 février 2023: « Le mouvement féministe espagnol était très puissant dès les années 1920-1930. Les femmes ont eu le droit de vote en Espagne en 1931 alors qu’en France c’était en 1945. Dans la Constitution de 1931 de la République espagnole, née par les urnes, figurait aussi un droit de divorce avec consentement mutuel, une reconnaissance des enfants naturels. À cette époque, les femmes se coupaient les cheveux, conduisaient des voitures. Quand on les lit les témoignages, elles étaient déjà très avant-gardistes. Un peu comme en Angleterre à cette période-là. »

Miliciennes catalanes de la Confédération nationale du travail (CNT) pendant la guerre civile espagnole, en 1937. |Photo :  Arxiu Nacional de Catalunya / Departament de Cultura / Generalitat de Catalunya via Wikimedia Commons

Puis, il y eut un premier coup d’arrêt avec le début de la guerre civile provoquée par les franquistes dont la haine des femmes étaient l’une de ses  marques de fabrique. Plus qu’un coup d’arrêt, cette période va ressembler à un long tunnel qui s’étira jusqu’en 1975 et la chûte de la dictature de fer imposée par le général Francisco Franco. Une chûte à laquelle participèrent beaucoup de militantes. Elles étaient 2000 femmes engagées dans la lutte au sein de l’armée de la République. Et 500 engagées dans les brigades internationales.

La société espagnole traumatisée, coincée entre la dictature et une église droite dans ses bottes pour faire respecter sa morale, a dû  se remettre à l’ouvrage. Comme l’explique encore Carole    » Viñals :  » L’Espagne, c’est un pays des extrêmes, un pays plus clivé que la France sur certains enjeux. N’oublions pas qu’ensuite il y a eu la longue nuit du franquisme  Les femmes ont alors perdu leur droit de vote qu’elles ont récupéré en 1978. Dans les années 1970, les grands mouvements féministes ont réémergé. L’après-Franco a été un véritable réveil. C’est symbolisé par la Movida, [ce mouvement contre-culturel qui a eu lieu, principalement à Madrid, lors de la transition espagnole vers la démocratie, NdlR]. C’est l’Espagne qui enlève son soutien-gorge. Il n’empêche, aujourd’hui, le poids du catholicisme en Espagne est encore très prégnant. Il y a une extrême droite férocement anti-avortement et une partie de la droite traditionnelle qui trouve ça affreux. »

Après la nuit opaque installée par le régime du sinistre Caudillo va succèder la période de la reconstruction à tous les niveaux : politique, économique, social et culturel qui va durer jusqu’à la fin des années 90. Sept ans seulement après la mort du général-dictateur,  le 12 juin 1985,  l’Espagne fasait son entrée dans  la  Communautée européenne. Le traité est signé par Felipe  González, président du gouvernement, et Fernando Morán, ministre des Affaires étrangères.

La marche en avant des femmes va non seulement reprendre, mais aussi s’accélérer.Comme souvent dans ce monde contemporain, des éruptions volcaniques, douloureuses en général, viennent souffler sur les braises de la liberté.

Cette fois, c’est l’assassinat horrible d’Anna Orantes  (brûlée vive) le 17 décembre 1997 par son mari (José Parejo)  après qu’elle eut témoigné  quelques jours plus tôt de son calvaire dans  l’émission  « De tarde en tarde » sur la chaine de TV publique andalouse Canal Sur et crée une grande émotion dans tout le pays, qui va bouleverser la donne.

Ce drame réveilla les consciences et poussa l’Etat a prendre ses responsabilités avec la création en 1999  de  l » ‘orden de alejamiento » ( ordonnance d’éloignement ) puis quatre ans plus tard d’un  » orden de protección » ( ordre de protection). Le 28 decembre 2004, le  gouvernement socialiste de José Luis Rodríguez Zapatero met en place la  Loi organique de Mesures de Protection intégrale contre la Violence de Genre (Ley Orgánica de Medidas de Protección Integral contra la Violencia de Género, souvent appelée LIVG ou VioGen).En 2007,   » les conjoints accusés de violences peuvent ainsi  être sommés de porter un bracelet électronique anti-rapprochement.  En 2020, pas moins de  25 000 personnes ont été concernées par cette mesure.

Vingt ans plus tard, le processus de protection est devenu en quelque sorte le modèle à suivre en Europe et dans le monde selon  le Groupe d’experts du Conseil européen sue la lutte contre la violence à l’égard des femmes : » La loi a permis la création d’un système de protection totalement dédié à l’éradication des violences de genre,  a confié François Kempf au magazine digital lemans.malville.com, avec des unités de police s’y consacrant exclusivement, des tribunaux et des juges spécialement formés, mais aussi avec un accompagnement psychologique, financier et pratique. Comme le prévoit le dispositif, la victime est prise en charge dans tous les aspects du processus, depuis la plainte jusqu’au procès, en passant par la recherche d’un logement et de ressources financières. Un tel dispositif rassure et il a poussé de nombreuses victimes à trouver le courage de signaler des violences à la police. »  Si le mal n’est pas éradiqué, loin de là, les lois et les actions dissuasives ont déjà donné des résultats. Avec une baisse des féminicides de 24% en moins de vingt ans (2004 – 2022).

Irène Montero, ancienne ministre de l'Égalité : une battante au srrvice des droits des femmes. Photo capture d'écran)
Irène Montero, ancienne ministre de l’Égalité dans le gouvernement Pedro Sánchez entre janvier 2021 et novembre 2023.Une battante au service des droits des femmes.
Photo capture d’écran)

Et l’Espagne ne lutte pas seulement contre les violences sexuelles et la maltraitance physique, elle s’échine à réduire les inégalités sociales et augmenter la part des femmes dans l’activité économique, dans les circuits de décisions et bien sûr approcher le plus possible d’une parité des salaires. Une action accélérée notamment sous l’impulsion d’une dirigeante courageuse, Irène Montero, ministre de l’Égalité dans le gouvernement de la coalition Paris Socialiste – Unidas Podemos, aboutit pour la première fois en Europe à u gouvernement composé de 14 femmes et de dix hommes.

@Fayçal CHEHAT

 

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