Lina Majdalanie : «Nous nous reconnaissons dans la situation de Brecht»
Couple libanais dans la vie et duo à la fois soudé et libre d’esprit dans le monde de la création théâtrale, Lina Majdalanie et Rabih Mroué ont dû faire leurs valises en 2013 pour quitter un Beyrouth plongé depuis des lustres dans une crise profonde à multi facettes et prendre la direction de Berlin où ils vivent et travaillent désormais. Mais si le Liban est loin des yeux, il n’a jamais quitté leur coeur. Toute leur vie tourne autour de la tourmente que traverse sans fin le pays des cèdres.
Lina et Rabih font partie des invités du Festival d’automne de Paris dont la 52ème édition ouvrira ses portes le 8 septembre et se poursuivra jusqu’à la fin du mois de décembre. Ils y présenteront au public leur dernière création “Quatre murs et un toit“. Une pièce puissante tissée autour des minutes du procès de Bertolt Brecht aux Etats-Unis en 1947 qui s’est tenu deux ans après la fin du terrible conflit mondial et qui résume parfaitement la thématique choisie pour l’édition 2024 à savoir ” les questionnements autour de l’exil, de la diaspora, de la justice sociale et historique, et plus largement par une « complexité pointue » dans la manière de tisser des récits sur notre monde.”
A noter que leur nouvelle pièce a été créée au CENTQUATRE-PARIS dans le cadre du Festival d’Automne 2024 est ” une palpitante investigation théâtrale autour de la notion de subversion et de la figure emblématique du dramaturge Bertolt Brecht.
Dans l’extrait qui suit, Lina explique comment les intellectuel(le)s arabes contraints à l’exil peuvent légitimement se reconnaître dans la situation de Brecht. Mais au-delà de la spécifité du Liban et des pays alentours, la femme de théâtre estime qu’il faut se méfier de ce qui est en train de se dérouler en silence: un monde en voie de libanisation générale.
«La transcription des actes du procès de Brecht aux Etats-Unis en 1947, nous l’avons sous le coude depuis longtemps. En nous demandant ce que l’on pouvait faire aujourd’hui face à la situation dans le monde et au Moyen- Orient, on a eu envie de se pencher à nouveau dessus, Nous nous recon -naissons dans la situation de Brecht : il a fui l’Allemagne nazie, est arrivé aux Etats-Unis, et il s’est retrouvé à nouveau accusé politiquement, sans trouver la liberté et la démocratie, alors qu’il croyait être dans un pays où la liberté de parole et de pensée était garantie. Il était coincé.
«Nous sommes nombreux aujourd’hui, venus de pays arabes, à nous retrouver dans cette situation. Dans nos pays, nous sommes considérés comme pas assez patriotiques, pas assez anti-Israël, pas assez aveuglément pour ou contre ci ou ça, et en Europe maintenant c’est la même chose, mais à l’inverse. »
« Le Liban comme métaphore, décidément ? « Je parlerais plutôt de laboratoire. J’identifie les signes qui sont en train de se répandre partout: la corrup- tion, la polarisation, le fanatisme, le poids des banques et des religions… Tous les signes d’une contamination générale sont là, et ils font peur. Cette nouvelle création parlera de notre désarroi face à ce monde en voie de libanisation générale. »
(Extraits d’un entretien paru dans les colonnes du quotidien français “Le Monde” daté du 5 septembre 2024)
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