Dacia Maraini: “Elsa Morante, ce personnage léonin”

Dacia Maraini est, à  87 ans, une légende vivante de la culture italienne: poétesse, écrivaine, scénariste, réalisatrice, auteure dramatique, ses ouvrages ont été traduits dans de nombreuses langues étrangères et inspiré le cinéma et la télévision.Sur le plan personnel, elle fut la troisième femme de l’immense écrivain Alberto Moravia qui venait juste de clore une page de sa vie amoureuse avec la fantasque et volcanique romancière Elsa Morante.

Du coup, celle qui est née  à Fiesole, non loin de Florence,  est intarissable lorsqu’il s’agit d’évoquer  la mémoire et la vie de l’auteure du chef d’oeuvre des années 70, La Storia   Dacia parle avec passion et un grand respect lorqu’elle évoque l’ancienne muse et femme qui l’avait précédé dans les bras de Moravia.

Vingt cinq ans, une génération, séparait les deux femmes  Dacia, qui a récemment fondé “le théâtre féministe des Mariannes”. Cinquante après la parution de “La Storia. La fiction habillée d’un réalisme incroyable s’est tranformée en un pamphlet réussi  contre  la guerre ce  « scandale qui dure depuis dix mille ans » et qui n’est rien d’autre que ” le pouvoir et la domination qui s’exercent sur les démunis”.

Elsa Morante

Ce livre, qui secoua le pays au-delà du monde des lettres et de la culture, s’il a connu un succès  national et international a aussi  valu à la romancière plus que des inimitiés dans le foisonnant  du monde intellectuel transalpin de l’époque. Dans un entretien chaleureux accordé au quotidien La Stampa, l’auteure de La lunga vita di Marianna Ucrìa, récompensé du Prix Campiello en 1990,  qui est en passant une féministe de la première heure,rendu un bel hommage à Elsa Morante. Extraits choisis.

Victime de son époque

Mais je pense qu’au final, le fait que ce soit une femme qui écrivait a suscité beaucoup de préjugés misogynes : une femme ne pouvait être que sentimentale et sucrée. C’est pour cette raison qu’Elsa elle-même, qui n’avait pas pratiqué le féminisme bien qu’elle soit féministe d’esprit, a déclaré “Je suis écrivain”. Et je le comprends car à l’époque, l’écrivain était lourdement pénalisé. »

 La passion amoureuse contrariée de Moravia

«Il avait une grande estime pour son écriture. Quelque chose dans son caractère l’inquiétait cependant : sa décision, par exemple, de se marier à l’église alors qu’elle se déclarait laïque, sa volonté excentrique et parfois excessivement volcanique. Mais il a toujours été proche d’elle et l’a aidée de toutes les manières, tant émotionnellement que financièrement, même lorsqu’elle est tombée amoureuse de Visconti et a passé ses journées avec lui, et plus tard, lorsqu’elle est tombée amoureuse de Bill Morrow et a parlé de lui. comme s’il était un ange descendant du ciel. Elsa était excessive en toutes choses : soit elle aimait furieusement, soit elle détestait pour toujours. Et cela devenait parfois un problème pour un homme équilibré et même un peu timide comme Alberto. »

Impétueuse, jamais méchante 

«C’était un personnage léonin. Ce n’est pas un hasard s’il était du signe du Lion. Mais elle n’a jamais été méchante, méchante, bavarde ou méprisante. Il a attaqué ses ennemis directement et honnêtement. Elle pouvait être agaçante à cause de son impétuosité, mais quand on la connaissait, on l’aimait pour sa générosité et sa franchise.

( Propos extraits de l’interview parue le  12 janvier 2024 dans les colonnes du quotidien italien La Stampa )

Pour finir,rappelons à nos lecteurs ce qu’écrivait, il y a deux ans, dans nos colonnes,  notre collaboratrice, essayiste littéraire, Boniface Mongo Mboussa sur l’histoire d’amour, aussi courte  que fougueuse entre l’Impétueuse Elsa et le Raisonnable Alberto.

“A la fin de la guerre, les relations se distendent. En partie à cause de leurs caractères opposés. Morante est orgueilleuse, compétitive, ne vivant que dans l’émulation ; Moravia est un gentleman,  habitué des salons  et des cercles littéraires, dont les  romans sont  adaptés par des cinéastes célèbres (Jean-Luc Godard,  Vittorio De Sica, etc).   Morante est sauvage.   Elle ne donne aucune interview, se tue à la tâche. Car elle a une revanche à prendre sur son enfance pauvre et ses origines troubles. Très vite, elle s’impose comme une romancière incontournable des Lettres italiennes.

@Fayçal CHEHAT

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