Nostalgie méditerranéenne: retour à Tanger

Notre collaborateur, Boniface Mongo Mboussa, spécialiste estimé  de littérature, a une passion particulière pour la Méditerranée. Il aime cette région du monde au patrimoine civilisationnel incomparable. D’Alger, où il a eu à donner des cours à l’Université, à Marseille, où il aime passer ses vacances, à l’Italie,  dont il déguste avec appétit les trésors culturels, B.M-M conserve  beaucoup de grands  souvenirs. Il aura l’occasion d’intervenir dans ce grand angle  réservé à la nostalgie pour nous en parler. Dans ce premier opus, il évoque son passage à Tanger.  Il y a séjourné  plusieurs fois sur la trace de toutes ces romancières et romanciers  du monde entier qui avaient fait  du célèbre port,  et durant des décennies, un passage obligé. Ce Tanger à la fois porte d’entrée sur la Grande Bleue et sur l’Atlantique et vis-à-vis du mythique Détroit de Gilbraltar. Morceaux choisis

Juanita Narboni, autrice de “La vie de chienne de Juanita”

“Me voici à nouveau à Tanger. Je dis : à nouveau. J’avais séjourné ici du 10 au 27 Avril de cette année. J’étais l’invité du Salon international de la ville. Treize ans après sa création, cet événement avait fait peau neuve en associant la littérature aux autres arts.

Marie-Christine Vandoorne, commissaire, avait réuni plasticiens, cinéastes, danseurs et écrivains pour évoquer « l’au-delà des œuvres ». A l’ouverture, on avait assisté à une chorégraphie de la Compa gnie Thomas Duchatelet. Les danseurs arpentaient le palais des Institutions italiennes. Il y avait eu, ensuite, un bel hommage au poète Aimé Césaire. Les œuvres de l’artiste cubain Wilfredo Lam avaient été exposées. L’hommage consistait en un croisement de regards entre ses lithographies  illustrant l’œuvre du poète et les toiles du plasticien marocain Mahi Binebine. L’hommage faisait ainsi écho au thème du salon : « L’au-delà des œuvres».

C’était dans cette perspective qu’il y avait eu un autre regard croisé, à l’Institut Cervantès, entre les peintres marocains et les espagnols. Et j’avais animé- dans le prolongement de cette thématique-, une table-ronde avec Daniel Maximin et Mathias Henard : « Caraïbes et Méditerranée ». L’un et l’autre étaient des interlocuteurs indiqués. Daniel Maximin avait rappelé le séjour de Frantz Fanon à Alger, insisté sur les liens entre les Antillais  et les écrivains de la revue Souffle.

Mathias Hénard (Prix Inter allié 2009), auteur de “Zone“, roman qui déroule en une seule phrase les atrocités du XXe siècle autour de la Méditerranée, était  revenu sur la genèse de son roman. Il avait évoqué sa région natale, Niort, dans la plaine de Morne, où passèrent aux alentours de 732, les guerriers arabes et berbères venus d’Andalousie, en route pour affronter leur destin.

Comment naissent les œuvres d’art ? Anna Akhmatova pensait qu’elles venaient au monde à partir du fumier. Mathias Hénard montrait, lui, qu’elles pouvaient naître de la géographie, ou plutôt de la pesanteur géographique. Car, c’est à cet événement historique lointain,  qu’il faisait remonter sa passion pour les batailles et le monde méditerranéen. Faut-il préciser ici que la ville de Tanger occupe une place de choix dans le roman de Mathias Hénard ? Dans Zone (clin d’œil à Jean Rolin et à Apollinaire), l’auteur   revient sur les destins de Kerouac, Burroughs et Mohamed Choukri à Tanger. On y croise Gide, Yourcenar et ses inoubliables Mémoires d’Hadrien. Ce roman a enrichi ma perception de Tanger. Il m’a aidé du coup pour mon second séjour. 

Pour ce voyage, j’ai acheté Le pain nu” de Mohamed Choukri, récit autobiographique féroce, nu comme la vie.  J’ai également emporté son essai sur Paul Bowles paru en 1997 au Quai Voltaire. L’écrivain marocain, poète maudit, tente d’élucider  le mystère du couple Paul et Jane Bowles et, par-delà toute la fascination de la beat generation pour Tanger. Le livre est décevant, mais jette une lumière crue sur Tanger, ville cosmopolite.

Mohamed Choukri

J’ai enfin emporté le roman d’Angel Vazquez, “La chienne de vie de Juanita Narboni”. Un long monologue, simulant le dialogue, sur la vie tangéroise des années 30-40, vue par une femme, Juanita Narboni. En racontant naïvement son quotidien, Juanita Narboni donne à voir l’atmosphère de la Tanger internationale des années 30. Angel Vazquez dédie son roman à la mémoire de sa mère et de son « cercle d’amies, juives et chrétiennes, dont Juanita Narboni s’est appropriée  le langage-souvenir ». La quatrième de couverture nous apprend qu’Angel Vazquez est un Tangérois exilé en Espagne, où il est considéré comme l’un des derniers poètes maudits. Il est aujourd’hui, l’une des voix les plus singulières du roman espagnol moderne.

Son préfacier, Juan Goytisolo, ami de Jean Genet et habitué de Tanger, convoque des noms illustres: Joyce et son Dublin, Dos Passos et New- York, Döblin et Berlin, Pamuk et Istanbul pour le situer. Il s’agit, écrit-il en reprenant la formule de Julian Rios, d’un roman qui  transforme la topographie en typographie. Car, La chienne vie de Juanita Narboni est la reconstitution nostalgique de Tanger depuis l’exil de l’auteur en Espagne.

Tout ceci montre la difficulté d’écrire sur Tanger, au moment où la ville a déjà été mise en signes et en scène par des noms illustres : Pierre Loti, Joseph Kessel, Paul Bowles, Williams Burroughs, Truman Capote, Roland Barthes, Jean Genet, Garcia Lorca, Juan Goystisolo, Mohamed Choukri… C’est donc une pure folie, une mégalomanie malsaine que d’essayer de proposer un énième texte sur la ville d’Ibn Batouta.

Et je ne parle pas ici du Tanger des peintres, celui de Delacroix et Matisse. Le seul moyen de s’en sortir, c’est d’écrire modestement une sorte de ballade littéraire en se servant de Tanger comme lieu de mémoire. Je viens pour cela de m’acquérir le petit livre de Gustave de Staël (le fils du peintre), Tanger cosmopolite, publié dans la petite maison d’édition tangéroise Khbar Bladna.

En attendant, Tanger sommeille. C’est le ramadan. Et j’erre. Hier, j’ai été à Asilah, située sur la côte atlantique. La Ville est réputée pour les festivals internationaux qui s’y déroulent. C’est ici que le maire de la ville, Mohamed Benaïssa, a érigé sur la grande place une stèle à la mémoire de son ami Tchicaya U Tam’Si, le poète congolais. Il y a également le Jardin Léopold Sédar Senghor.

Paul Bowles, les noms du célèbre romancier américain est celui de Tanger sont liés à jamais. L’écrivain a vécu 52 dans le célèbre port et y est décédé.

Demain, j’irai à Tétouan, ville historique à quelques kilomètres de Ceuta, où des jeunes africains viennent échouer et mourir pour joindre l’Eldorado européen. Tétouan, « colombe blanche » selon les poètes arabes, est une ville carrefour, rencontre de culture andalouse, ottomane, européenne et arabe.

J’apprends qu’ici a séjourné Claude McKay (l’écrivain de Harlem Renaissance), après son périple à Marseille, Petrograd et à Moscou, où il avait rencontré Lev Trotski. De son séjour ici, Claude Mc Kay a laissé un poème. Ah ! Sacré MC Kay, Il avait déjà immortalisé la ville  de Marseille dans son roman, Banjo. Il avait écrit un deuxième texte, Romance à Marseille que devait traduire et publier l’éditeur phocéen André Dimanche et que l’on attend toujours. Et maintenait, le  voici célébrant Tétouan :

« Le Maroc conquérant a payé son tribu à l’Espagne

Et l’Alhambra a érigé ses tours !

Les doigts de l’Afrique, prêts à faire des miracles 

Et frémissants sous l’esthétique arabe

Ont tracé des mots et des figures comme fleurs exotiques,

Des chambres de sultans aux tapisseries rares,

Des merveilles en filigrane tirées des versets du Coran

Et bien plus tard, l’Espagne rendit cet hommage

A Tetouan, ce fort de batailles et de luttes, 

Où les Maures d’Andalousie déçus se retirèrent ; 

Elle apporta une fontaine bouillonnant de vie neuve

Dont le charme précieux conquit même l’orgueil indigène

Et son éclat s’emplit du rire flamenco.

Vue de la Médina

Un ami me signale, que Tchicaya U Tam’Si a laissé des notes sur sa vie à Tétouan et Tanger, lors de ses nombreux séjours à Asilah. Je vais me les procurer, m’en imprégner. Je mettrai ainsi mes pas dans les siens, comme il a su mettre les siens dans ceux de Claude McKay. Et, qui sait, peut-être en sortira-t-il un livre, Inch’ Allah !

Il est dix neuf heures. Je suis toujours à Tétouan. J’habite à la résidence de l’Institut français, située non loin de la Grande mosquée. J’entends la voix du Muezzin qui annonce la fin du jeûne. Je fonce dans la rue. Pas un chat. Les rues sont désertes. On se dirait en temps de guerre. Moment magique, déroutant. Deux heures plus tard, quand je reviens de ma balade, la rue revit : on s’interpelle, on s’invite aux cafés. Les commerces ouvrent et rouvrent, les gosses jouent dehors, tard. Il est temps de se coucher. Demain, il faut rebrousser chemin. A nous deux Tanger, ville cosmopolite, ville-ouverte, qui s’offre au plus offrant. Attends-moi Tanger, j’arrive.

@Boniface Mongo.-Mboussa

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