Baya, la Magicienne de l’Arabesque

C’est à l’un des noms les plus illustres de la peinture algérienne et de l’Ecole d’Alger que  nous avons choisi de mettre à la une de notre magazine  : Baya Mahieddine, dont une grande exposition    « Baya – Femmes en leur jardin. Œuvres et Archives 1947 – 1998 » a lieu depuis le 8 novembre 2022 et qui durera jusqu’au   26 mars 2023 à l’Institut du Monde Arabe    de Paris (1).

L’article de Djilali KADID *, peintre et critique d’art, nous fait entrer de plain-pied dans son univers et nous y escorte. Faut-il rappeler  que Baya, méditerranéenne par sa naissance et par son appartenance culturelle, l’est aussi par son art ?

En effet, comme nombre de critiques et de commentateurs l’ont très tôt fait remarquer, son œuvre foisonne de formes, de signes et de symboles que son inconscient, ingénument, glane ici et là, dans le creuset immémorial de cette grande ère géoculturelle : la Méditerranée.Laissons  notre spécialiste nous guider dans les méandres et les prestiges de cet univers pictural  des plus « singuliers » Méditerranéennes Magazine.

 

 

 

 Baya, adoubée par les plus grands

Nous voici au milieu du voyage, dans l’Oasis de Baya, havre de paix, de luxe et d’abondance, promesse de repos, de nourritures et de lumière. L’enfance, peu à peu se réveille au contact des couleurs, des parfums et des sons de ce pays qui lui ressemble  et dont elle reconnaît tous les hôtes, femmes, animaux, fleurs, arbrers, fruits, violons et mandoles, êtres et objets quotidiens  d’un univers où tout paraît lui obéir et célébrer son règne.

D’où vient à Baya ce sens du merveilleux, cette magie de conteuse et de poète ? Poésie qui, chez elle, est d’abord peinture, fruit de pures corrélations plastiques par lesquelles toute anecdote, naturellement transcendée, est convertie en jeux de lignes et de couleurs. “La couleur semble chez elle un signe, écrit Jean Pélégri, une forme, une écriture sur la jeunesse du monde.Aussi, chaque fois que je regard les couleurs de Baya, j’ai l’impression que le monde s’entrouvre , qu’il retrouve sa nouveauté, son innocence originelle.

Pas un commentateur qui n’ait interrogé le pouvoir enchanteur de ces arabesques, de ces accords, de ces harmonies chargées de rêve et de mystère, naissant avec la spontanéité et la régularité d’une eau de source, comme si tout s’élaborait de soi dans l’âme de celle qui est chargée du seul plaisir de donner à voir. le don est ici une réalité manifeste, mais dans laquelle la grâce ne se dissocie jamais d’une lucidité qui, infailliblement, veille à l’ordonnance et à l’épanouissement du  bien inné, des énergies instinctives.

Alors on se  demande, poursuit Pélégri, par quel miracle Baya a inventé le regard  de la petite fille qu’elle fut et de la femme qu’elle allait devenir, et d’où lui viennent ces couleurs simples, cette intimité native avec les formes…On se demande comment elle s’y prend…” Et quel regard n’interrogerait l’origine d’une telle imagerie ?

Très enfouies sont pourtant ses racines, longue est sa généalogie qui va de  la peinture égyptienne, passe par l’art traditionnel maghrébin et persan pour Matisse et Klee. Comment peut-on ainsi disposer de tant de sources précieuses en toute ingénuité, user aussi aisément d’un langage plastique, dont, vraisemblablement, on ignore les profonds mécanismes ?” Si on peut imaginer, se demande Jean de Maisonseul, des correspondances dans les thèmes de Baya avec ceux du plus ancien Orient  qu’en est-il  des analogies plastiques ? Cette enfant qui n’a jamais rien vu qui ait quelque rapport avec les formes et kes couleurs de l’Egypte, de la Crête et de Sumet, comment a-t-elle  retrouvé l’essence de l’arabesque ? Tout cela dans une jaillissement spontané qui recoupe, par une voie complètement différente, les dernières  recherches de Matisse ?”

Les arts “fondamentaux”

Le mystère demeure intact, de ces bleus et de ces mauves qui suffisent à eux seuls à nous émouvoir comme ils émurent à jamais Pélégri  et Maisonseul, Breton, Picasso et Matisse, et bien d’autres adeptes illustres d’Art magique.

S’il arrive cependant que l’artiste soit dans l’ignorance des sources qui l’inspirent, il ne l’est pas nécessairement des moyens qu’il utilise pour en exprimer la richesse. Baya sait la beauté et l’ampleur de sa palette, la musicalité de ses accords, la profondeur de ses harmonies, la générosité et le charme de son arabesque.

Elle sait également quelle vigilance et quelle lucidité, chaque détail – simple touche ou mariage complexe – exige. Elle se promène dans les contrées de son imaginaire avec la même agilité et la même aisance que ses poissons ludiques dans l’eau bleu clair des fontaines, ses oiseaux de féeries escortant ici et là la plus énigmatique féminité.Elle rejoint aussi les dessins et peintures d’enfant, leur pureté et leur pertinence, leur promptitude à nommer tout avec poésie et justesse, à déceler   dénuement et secret des êtres et des choses.

Quoi de plus normal que les apôtres de l’Art Brut l’aient reconnue comme une des leurs; que certains surréalistes l’aient admirée et adoptée, notamment André Breton qui baptisa son exposition  en 1947 à la galerie Maeght, avec une élogieuse préface dont on retient comme une clé précieuse cette image ‘voyante:” Baya dont la mission est de recharger de sens ces beaux mots : l’Arabie heureuse. Baya qui tient et ranime le rameau d’or“.

Elle fait partie de ces artistes qui trouvent d’entrée de jeu le diaspason de leur chant et poursuivent ce même chant tout au long de leur vie. Autodidactes, ils sont souvent étrangers de nature, voire rebelles, à tout dogmatisme esthétique comme s’ils redoutaient une déperdition de leurs richesses innées sous l’influence d’une quelconque formation.

Plusieurs mouvements et personnalités majeurs de notre siècle, attentifs aux arts singuliers, à l’expression immédiate et radicales des forces du subconscient, ont tôt fait d’adopter ces créations marginalisées depuis toujours par les diktats esthétiques de tout bord, contribuant ainsi de manière active à leur audience auprès du grand public. Le Dadaïsme, le Surréalisme, le mouvement Cobra – qui annexa la Marocaine Chaïbia – partagent le même intérêt pour la peinture des enfants, celle des aliénés mentaux, celle aussi de certains artistes “naïfs”. Fautrier et Dubuffet se passionnèrent de manière militante pour les arts dits fondamentaux: fondation  Lausanne par Jean Dubuffet du musée d’Art Brut qui acquit d’ailleurs plusieurs oeuvres de Baya.

La Parachute

 

Bien souvent, comme entre eux la plupart des travaux d’enfants, les univers de ces artistes se ressemblent, puisant leur inspiration dans la même ingénuité et la même spontanéité; une parenté frappante lie par exemple Baya au peintre Gaston Chaissac: à travers notamment ces courbes prononcées où se devine une tendance aux formes ovoïdes, ces aplats purs produisant une même absence de profondeur, ce goût exquis pour une gamme froide aà dominante bleue. Les arabesques plus abondantes et imprévisibles de Baya, le foisonnement chez elle des signes, de plus f’réquents contrastes de tons, apportent cependant à ses tableaux plus de présence décorative, leur confèrent plus de résonance poétique et les rendent encore plus proches de l’imagerie de l’enfance. Il arrive aussi que ces créateurs instinctifs rejoignnt par d’étonnants raccourcis les préoccupations les plus complexes d’artistes traditionnels : la correspondance notoire relevée par Jean de Maisonseul, entre Baya et Matisse, pourrait à elle seule faire l’objet d’une analyse.Elle ne cherche pas, elle trouve..

  Elle ne cherche pas, elle trouve 

En raison de l’appartenance et des caractéristiques de son art, on peut difficilement reprocher à Baya une absence de d’évolution; l’on est tenté de le faire lorsqu’on compare  les Deux femmes de 1948 aux Hupes hud hud de 1975 et aux Poissons-lyres de 1987.

Bien sûr les formes ne varient pas; mais cela témoigne davantage de l’intemporalité  de ces formes que ça ne met pas en cause les capacités créatives  de l’artiste.

Baya sait qu’elle ne pratique pas un art de recherche, de spéculation formelle, une esthétique de laboratoire. Elle peint comme on parle, comme on chante, comme on respire. Elle peint comme on conte. Elle pourrait reprendre à juste titre le mot célèbre de Picasso et dire : “Moi je ne cherche pars, je trouve. En effet, elle a su trouver dès le début une porte secrète, celle d’un monde de rêve, de transparence et de simplicité; une porte  dont son âme, depuis toujours, possédait la clé.

Plutôt qu’une thématique invariable, l’oeuvre de Baya nous invite à voir une variation sur des thèmes obsédants, un éternel retour à sa mythologie personnelle, aux phantasmes qui hantent son imaginaire et qui, d’une peinture à l’autre, deviennent autant de schèmes par lesquels sont univers se caractérise.

Aussi n’est-elle répétitive que dans la mesure où l’est Rouault avec ses Juges, ses Clowns et ses Christ, Chagall avec ses fiancés en fleurs, ses violonistes, ses coqs et ses ânes volant toujours au-dessus des même toits de Vitebsk.

On peut toutefois regretter son emploi inchangé de certains moyens tehniques : gouache, peinture à l’eau. on peut imaginer ce que lui aurait apporté un procédé austère et exigeant comme la gravure; ce qu’elle aurait apporté elle-même en retour, la musique inouie dont son arabesquel’aurait doté.  À regarder les figurines admirables de ses céramiques, on ne peut que souhiater le dialogue de sa grâce et de son intuition avec d’autres techniques d’expression.

Rêve, paix, transparence, volupté, tendresse et nostalgie, et combien d’autres noms pour désigner  la fée Baya, la magicienne de l’arabesque, l’inépuisable conteuse aus mystère bleu et mauve.

Le regard quant à lui va garder à jamais le souvenir des riches heures de cette oasis. Et longtemps encore brilleront pour lu les splendeurs de la fête rituelle à laquelle président ces créatures verticales, élégantes, princesses à l’oeil égyptien, aux bras chargés d’offrandes et dont les robes répètent à l’infini la luxuriance du plumage de leurs oiseaux-gardiens.

Et dans notre pensée désormais conquise, Baya vient prendre place à côté de Renoir et de Matisse, de Klee et de Chagall, dans l’Arcadie innombrablede la peinture; mémoire vivante de notre plus tendre enfance.Présence inaliénable de notre mémoire.

@Djilali KADID

* Djilali Kadid est un artiste peintre, critique d’art, musicien et interprète.

(1) Les oeuvres de Baya sont encore visibles à l’Institut du Monde Arabe (IMA), 1 rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris . Ouvert tous les jours de 10h à 19h.

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