Annie Ernaux,le sacre d’une désobéissante

On ne sait pas si Annie Ernaux s’attendait ces dernières années voire ces derniers mois à la fabuleuse bonne nouvelle qu’elle a reçue ce jeudi 6 octobre de Stockholm. Ce coup de fil  l’informant qu’elle venait d’être honorée du Prix Nobel de la littérature 2022  et  qu’elle entrait ainsi  dans la cour des  illustres  et des géant(es) de la littérature contemporaine.

La Française de  82 ans,  née à Lillbonne en Seine-et-Marne rejoint ainsi dans la légende. C’est un vrai sacre pour celle qui a  déjà conquis quelques récompenses  de haut niveau tels  Le Renaudot en 1984 pour “La Place” ou les  Prix Marguerite Duras et Francois Mauriac en 2008 pour”Les Années” .  Cedernier titre, roman puisssant, elle le définissait ainsi lors de sa sortie en 2008 : “C’est à la fois le récit de ma vie mais aussi celui de milliers de femmes qui ont elles aussi été en quête de liberté et d’émancipation“.Par ailleurs, nombre de ses oeuvres ont été adaptées au cinéma, au théâtre et à la radio.

À jamais la première

Avec le Nobel, c’est une audience planétaire qui lui est promise. Elle devient la première romancière française et seulement la 17e femme  à recevoir cette distinction  prestigieuse que décerne depuis 1901  l’Académie royale des sciences suédoise.  Au palmarès général, elle prend la suite du Tanzanien  Abdelrazak Gurnah alors que sur le plan hexagonal, elle succède,  huit ans, après au profond et indémodable Patrick Modiano.

Sa première sortie médiatique  à chaud au micro de la télévision suédoise SVT est teinte à la fois de modestie et d’un sens aigu de la responsabilité : « Je considère que c’est un très grand honneur qu’on me fait et, pour moi, en même temps, une grande responsabilité, une responsabilité qu’on me donne en me donnant le prix Nobel »« C’est-à-dire de témoigner d’une forme de justesse, de justice, par rapport au monde”.

Arrivée dans ce monde l’année même où la planète avait commencé à brûler sous les feux tragiques allumés par l’hitlérisme, Annie Ernaux est devenue, au fil d’une vie, riche en émotions, une  place forte de cette  littérature française placée sous la bannière de la révolte sociale. Une orientation héritée en quelque sorte  d’une mère battante, engagée, féministe de la première heure.

L’héritage d’une mère forte 

Une mère qui  a tout fait pour lui montrer le chemin de la liberté et de la justice. Elle  disait ceci de sa génitrice dans les colonnes du quotidien Le Monde à l’occasion de la parution en 2016 de son roman “Mémoire de fille” aux éditions : “Elle a été fondamentale. A cause de sa personnalité, de sa force, de son regard sur le monde et en particulier sur le monde social. Tout cela m’a portée, et m’a portée aussi dans la révolte. Elle voulait tracer mon propre destin. Elle en est largement responsable”.

Le féminisme, parmi quelques autres thèmes très engagés et engageants, occupe une place essentielle dans un parcours de vie et d’écriture qui a traversé les années fécondes  de la littérature française (1960-1990). Qu’elle assume avec fierté:  “Les questions autour du féminisme et du genre continuent de me bousculer. J’ai toujours cette curiosité à l’égard des idées qui changent la société.Oui, j’assure cette formule. J’ai vécu ma jeunesse au milieu d’écrivains engagés. Sartre, de Beauvoir, Camus, qui n’était pas si désengagé que ça. J’ai connu mai 1968 aussi”. 

 

 

Témoigner au risque de se tromper

Un vécu riche  qui  l’autorise à comparer les époques et à déplorer sans détour  l’affaiblissement  de l’engagement de l’écriture et des écrivain(e)s  et la place  importante prise par une littérature  qui fait la part belle à l’égocentrisme : ” Je constate, et déplore peu à peu, le désengagement des écrivains. Et du coup, comment dire? J’estime que c’est un devoir de prendre position, Même si je peux me tromper, j’ai envie de témoigner. J’ai un regard sur le monde social et les femmes, deux directions, deux douleurs, qui correspondent à ma biographie – j’ai vécu le mépris social et me suis heurtée, en tant que fille, à la domination masculine.Aujourd’hui, c’est très difficile de gagner sa vie en écrivant des livres.Les écrivains, s’ils se positionnent, ont peur de perdre des lecteurs, de moins en vendre.. on peut le comprendre, mais à mon sens, c’est une erreur.”  Professeur de littérature à l’université de Cergy-Pontois, Annie Ernaux a publié l’essentiel de son oeuvre, une vingtaine de romans, chez la prestigieuse maison d’édition Gallimard.  Entre autres: : Des armoires vides (1974), La Place(1982), L’événement (2000), Les années (2008)  Mémoire de fille (2018) ou Le jeune homme (2022),

@Fayçal CHEHAT

 

 

Commentaires

Soyez le premier à commenter cet article ...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Revenir au TOP