A.Géhanne Khalfallah, une écriture lumineuse

Amira -Géhanne Khalfallah  appartient  à  cette famille d’écrivains, qui  nous viennent des sciences exactes,  et qui nous a fourni , rien qu’au XX e siècle, une pléiade d’auteurs  à l’image de  Musil, williams Carlos williams, Rachid Mimouni,  Sassine, etc.

Biologiste de formation,  elle réside  au Maroc, mais sa source d’inspiration reste  son Algérie natale . En témoigne Le naufrage de la lune, roman historique, qui revisite l’attaque des côtes de Jijel par la flotte de Louis XIV au moment où une bonne partie du territoire algérien est sous le contrôle de l’Empire ottoman.

Servie par une écriture lumineuse, Amira Khakfallah Gehanne réussit  ce tour de force, qui consiste à convertir une bataille épique en chant poétique. Mêlant l’histoire intime à la grande Histoire,ramenant par un jeu d’analepse  le lecteur au cœur Versailles (  le Versailles de Molière),  décrivant avec empathie  la bravoure et l’habileté  des femmes de Jijel, le tout sous le regard  affectueux de  la Méditerranée, Amira Khalfallah  nous montre combien l’histoire  une chose trop sérieuse pour la  laisser aux seuls mains des historiens.  B.M.B

Méditerranéennes Magazine: Vous êtes biologiste de formation, puis vous avez exercé le métier de journaliste. Qu’est-ce qui a vous poussé à abandonner la biologie pour le journalisme ? 

Amira- Géhanne Khalfallah: Je n’ai pas abandonné la biologie, elle est toujours en moi. J’aime l’idée d’avoir plusieurs vies. Elles se superposent mais ne s’annulent pas. Nous sommes faits des sédimentations de nos vies passées. 

Du journalisme vous êtes passée à la littérature, plus précisément au théâtre. Là, on aimerait savoir comment s’est fait ce cheminement.

J’ai commencé à écrire pour le théâtre en cachette à un moment où on fermait les salles en Algérie et qu’on assassinait les comédiens. Je pense que c’est à ce moment précis que je me suis rendue compte de la force du théâtre, de la parole incarnée, de la puissance des planches, du théâtre comme lieu de circulation des idées… c’est de cette absence qu’est ne le théâtre en moi. 

Je crois savoir aussi, que vous avez réalisé un film. De quoi s’agit-il ? On aimerait savoir quel regard portez-vous entre votre expérience théâtrale et cinématogra- phique.

C’est un film sur les essais nucléaires français en Algérie. Mais c’est aussi un film où il y a de la place pour l’espoir et la reconstruction. Le théâtre et le cinéma ont beau être deux langages différents, ce sont également des formes artistiques transversales qui invitent à la musique, à la mise en scène, à la peinture, aux lumières… Le théâtre m’a apporté une expérience de plateau qui m’a été très utile dans le cinéma notamment en matière de direction d’acteurs.  

Vous venez de publier un roman, Le naufrage de la lune, qui relate l’attaque des Côtes de Jijel (Gigéri à l’époque) par la flotte de Louis XIV le 22 juillet 1664. Quelle est la genèse de l’écriture de ce roman ? Lecture d’un article ? Un livre ou alors une tradition orale ? 

Cette histoire, qui est plus ou moins connue à Jijel, est complètement méconnue dans d’autres régions du pays. En France également. Beaucoup de lecteurs et même des enseignants en histoire l’ignoraient, c’est dire à quel point elle a été occultée. Pour beaucoup, l’histoire entre l’Algérie et  la France commence en 1830 mais la genèse de cette invasion trouve ses racines dans le 17ème siècle. J’ai vécu et grandi à Jijel et cette histoire me tenait particulièrement à cœur. Je ne pensais pas écrire un livre au départ mais j’étais à la recherche d’un ancêtre qui était supposé être arrivé à Jijel lors de cette expédition. A défaut de le trouver je lui ai inventé une histoire. 

Photo: Mehdy Mariouch

C’est un livre poétique, aérien. On ne sent pas la pesanteur de l’histoire, quel est selon vous le secret de cette grâce  d’écriture et de lecture? 

Je ne suis pas historienne et je ne voulais pas que mon récit et mes personnages disparaissent sous le poids de la grande histoire, c’est pour cela que j’ai beaucoup nettoyé, élagué… Je voulais faire de la place pour poser la fiction qui est le but premier de mon écriture. 

A la fin du livre, vous donnez vos sources. Les avez- vous confrontées à l’histoire orale.

Je n’ai cessé de faire des allers-retours entre les archives françaises; ottomanes et de questionner la mémoire collective jijélienne. Je me suis amusée à composer un puzzle. Je dirai que c’est plus un travail d’évocation, de construction dont les pièces manquantes sont les plus intéressantes, car c’est de là que jaillit le roman et c’est à partir de brèches que nait la littérature et non pas des certitudes et des faits avérés. 

Votre personnage principal est un médecin français, qui se converti à l’Islam par le mariage. Cette conversion a t- elle eut lieu dans les faits ?

Ces conversions étaient choses communes à l’époque. Beaucoup choisissaient de se convertir pour échapper à leur condition d’esclave. J’ai pu lire des lettres très émouvantes aux Archives Nationales de France, écrites par des esclaves français capturés à Jijel. Des témoignages dont je me suis servi pour construire la fiction. 

La guerre est souvent une histoire d’hommes. Mais le naufrage de la lune est au fond un roman des femmes puissantes. Partagez- vous cette lecture ?

On parle toujours des hommes pendant les guerres et pas des femmes. Elles sont transparentes, inexistantes. C’est très bizarre et ça m’a toujours interpellé.  Je voulais une histoire qui parle d’elles. Je voulais une histoire où elles parlent d’elles-mêmes; d’où l’utilisation du style direct et des dialogues, du présent également. 

Quel est selon vous, la raison principale de l’échec de la flotte de Louis XIV ?

Les raisons sont diverses mais principalement militaires et stratégiques d’autant plus que la flotte française à cette époque était très affaiblie. Aussi, une méconnaissance du terrain mélangé à un mépris des populations avait aggravé la situation et fragilisé la position des troupes françaises.

Il y a beaucoup de poésie dans ce texte. On convoque même des poètes comme Ibn ‘Arabi. Ecrivez- vous des poèmes ? 

Non, je ne suis pas poète. 

Que signifie Le soleil et la lune ici. Le ying et le yang ?

C’est le roi Soleil face à Dzaïr, le pays de la lune. 

Propos recueillis par Boniface Mongo Moussa

 

LES PRÉFÉRENCES DE GEHANNE

Votre livre :Je t’offrirai une gazelle  

Votre film : Mort à Venise  

Votre chanson :  A Vava Inouva

Votre ville:  Rome

Votre peintre :  Miro 

Votre acteur :  Anthony Hopkins

Votre actrice:  Huyam Abbas 

Votre parfum : Tubéreuse 

Votre sport:  Natation 

Votre talent caché : Mieux vaut cultiver le secret ! 

Votre voyage inoubliable: Mali 

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