JULIE SÉVILLA-FRAYSSE : la fiancée du violoncelle

À seulement 33 ans, la violencelliste Julie Sévilla-Fraysse est une soliste  à la réputation internationale déjà bien établie. Si elle se consacre beaucoup à la musique de chambre, elle est aussi membre confirmé de l’orchestre de l’Opéra de Paris. Sur sa place dans un orchestre, elle dit joliment : “Je vois le jeu en orchestre davantage comme un équipage sur un bateau qui suit le même cap, une sorte de masse, d’ensemble, la sensation est donc bien différente”.  Cette niçoise de naissance, dont le père, d’origine espagnole, est né à Oran, est une  autenthique Méditerranéenne. Par le  sol et par le coeur.

Sa formation musicale  est  prestigieuse. Adolescente, elle est élève de l’Academie Rainier III de Monaco, avant de rejoindreà 17 ans  le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Elle a également séjourné à la Juilliard School de New York et a effectué avec succès une résidence à  La Chapelle Musicale Reine Elisabeth en Belgique auprès de Gary Hoffman.

Pendant la difficile  période de confinement elle  a donné de nombreux  concerts via youtube qui ont connu un remarquable succès et sans doute amené vers la musique classique un certain nombre de sceptiques. Ses performances sont immanquablement habillées d’une belle émotion. L’artiste fait corps avec son instrument. Un attachement viscéral qu’elle décrit de la sorte dans nos colonnes: Cet instrument, on est comme caché derrière. Tu l’enveloppes et lui te cache. Posé contre le torse, on sent ses vibrations et le fait qu’il ait la même tessiture que la voix est très réconfortant et accueillant“. Le titre de notre article, “La fiancée du violoncelle”  était alors tout trouvé.

 Méditerranéennes : Vous êtes née en 1988 à Béziers, racontez nous un peu l’histoire de votre famille, vos origines méditerranéenne etc.

Julie-Sévilla Fraysse :  “Je suis en effet née à Béziers, mais j’ai grandi à Nice. Mais mon père est un pied noir né à Oran.Mes grands-parents, Espagnols, sont venus habiter en Algérie avant la naissance de mon père, d’où mon nom « Sévilla ».

Vous jouez du violoncelle depuis vos 7 ans mais comment s’est déroulé ce choix de la musique  en général  et de la musique classique en particulier ? Une influence quelconque d’un courant ? D’un compositeur ?«

Je réponds souvent que c’est ma mère, qui n’est pas musicienne mais mélomane, qui m’a poussée vers la musique. Étant à cet âge assez scolaire, j’ai donc suivi ses conseils sans pour autant ressentir les cours et le travail comme une corvée. De plus j’ai aimé très rapidement me produire lors de petits épreuves et spectacles… A cet âge là, je ne ressentais pas de trac comme les adultes peuvent le connaître. J’y prenais donc beaucoup de plaisir. Ma formation classique s’est naturellement imposée car c’est celle donnée en conservatoire. Pour ce qui est des compositeurs, mes impressions ont  varié selon mon âge. Certaines pièces me paraissaient  compliquées comme les sonates de Beethoven ou les suites de Bach qu’aujourd’hui j’affectionne beaucoup. Tout comme la musique romantique et plus particulièrement la musique de chambre… »

Pourquoi le violoncelle en particulier ?                                                                                                                                                  

Là encore, j’ai suivi sans traîner les pieds. Et encore moins contester les conseils de ma mère qui affectionnait à ce moment là particulièrement cet instrument. J’ai donc d’abord eu un petit violoncelle à ma taille et j’ai remarqué qu’il avait une forme de bonhomme que je trouvais assez drôle et rassurante car il s’enlace et donne donc une sécurité.On est comme caché derrière. Tu l’enveloppes et lui te cache. Posé contre le torse, on sent ses vibrations et le fait qu’il ait la même tessiture que la voix est très réconfortant et accueillant.

A quel moment vous êtes vous dit : « Je veux en faire ma carrière, mon métier »? Y a t-il eu un déclencheur précis à un moment donné ?                                                                                                                                                          

J’ai eu un déclencheur durant mon année de Première S. J’ai fait mon collège et ma seconde en horaires aménagés pour continuer la musique. J’étais donc très souvent entourée de musiciens. Mais mes parents, au moment de passer en Première, m’ont conseillé de passer un bac S plutôt qu’un bac spécialisé en musique. J’ai suivi leur décision et je me suis retrouvé un peu comme un ovni en première S car j’étais presque constamment accompagnée de mon violoncelle pour pouvoir préparer mes examens du conservatoire au mieux. Je ne me sentais pas à ma place et surtout, je me suis rendu compte que j’allais devoir progressivement laisser le violoncelle de côté si je continuais en sciences et j’ai compris que ce n’était pas du tout ce que je voulais faire. A ce moment là, le directeur du conservatoire a insisté aussi très largement auprès de mes parents pour que je fasse carrière. Mes parents ont alors  fait le choix de me faire confiance dans cette voie que j’ai décidé de suivre.

Vous travaillez en duo avec Yann Antonio, danseur professionnel en Hip Hop, dans le cadre de Moov’Cello. Comment vous-êtes vous décidé à créer “moov cello” ? Vous êtes à la base plus habituée à accompagner des ballets classiques étant dans l’Orchestre de l’Opéra de Paris, comment vivez vous ces performances ? Comment les créez-vous et vous sentez-vous vous même danseuse en performant avec lui ?    

J’ai rencontré Yann par l’intermédiaire d’un danseur retraité de l’Opéra de Paris. Il nous a mis en contact après que Yann lui ait exprimé l’envie de former un duo avec un instrument à corde. Le fait de travailler avec un danseur Hip Hop offre quelque part plus de liberté car il  réduit quelque peu le carcan classique connu pour être très codé. Cette expérience me ramène à quelque chose de nouveau qui me change d’un milieu souvent très étiqueté  – bien qu’en pleine évolution ces dernières années- où il pouvait être mal vu de faire plusieurs choses à la fois. Comme être soliste et dans un orchestre dans le même temps. On crée d’habitude nos performances selon un modèle précis : je propose une musique à Yann et il crée quelque chose dessus avant la représentation. Cependant on a d’autres projets à venir où je pourrais travailler en impro, ce qui représente un défi pour moi. Je ne sais pas si on peut appeler cela de la danse, mais pendant nos représentations, je me laisse souvent emporter par l’aisance de Yann en étant bien plus dans un relâché avec une gestuelle qui n’est pas réfléchie mais qui vient sur le moment».

Comment vivez-vous vos différentes expériences musicales : soliste, dans l’orchestre, en duo, en trio, en quatuor… ?                                                                                                                                                                                              

J’ai un besoin de faire plusieurs choses, car chaque expérience est différente et riche. Je ne pourrais pas, je pense, me limiter à une seule. Cependant, les moments durant lesquels je me sens la plus heureuse ou du moins la plus à l’aise, c’est quand je joue en soliste accompagnée par l’orchestre ou quand je joue de la musique de chambre car nous sommes peu nombreux. Dans la musique de chambre, seules trois personnalités peuvent s’exprimer ensemble, cela me permet donc d’exprimer davantage mon individualité. Je vois le jeu en orchestre davantage comme un équipage sur un bateau qui suit le même cap, une sorte de masse, d’ensemble, la sensation est donc bien différente!

Dans beaucoup de vidéos  on vous voit jouer les yeux fermés.  Vous avez été très présente en ligne durant le confinement notamment, en postant un grand nombre de shows privés. En regardant les commentaires, certains décrivent l’apaisement, d’autres le chamboulement, le voyage et parfois tout en même temps vis à vis de ce que vous transmettez par la musique. Mais vous, quand vous jouez, comment le vivez-vous ? L’expérience en ligne est-elle différente de celle où un public vous fait face ?

 Lorsque j’ai posté des vidéos durant le confinement, j’avoue que je ne me préoccupais pas vraiment des personnes qui allaient regarder et je choisissais les morceaux en fonction des émotions que je voulais transmettre à un moment donné. Je suis surtout très contente de cette expérience en ligne car je pense qu’elle a permis de faire connaître la musique classique à des gens qui ne s’y seraient pas forcément intéressés à la base. J’ai aimé aussi cet aspect « fait maison » et authentique, mais pour moi, le fait qu’il n’y ait pas de public ne change pas beaucoup de choses car j’ai l’habitude de jouer à l’Opéra où l’Orchestre n’est pas  placé sur scène mais dans la fosse et est au service des danseurs ou chanteurs. Lors de ces concerts, le regard du public n’est donc pas directement placé sur nous comme durant un concert symphonique. Les ressentis sont donc très variés à chaque fois !

Avez-vous déjà ressenti ou vous a t-on déjà fait ressentir que le fait d’être une femme pouvait être un handicap dans le monde de la musique ? Vous êtes-vous déjà sentie seule dans votre milieu ? Ou peut-être n’avez-vous jamais ressenti de discrimination vis à vis de cela…?

Je dirais que je n’ai jamais vécu de réelle discrimination  en tant que femme, même durant une audition, on est caché derrière un paravent pour n’être jugé qu’au son. Cependant, j’ai pu faire plusieurs constats comme le fait que je n’ai toujours eu que des enseignants de sexe masculin ou que la question de l’âge surtout rentrait en jeu en voyant que dans certains cas, les hommes murs de ce milieu prenaient un peu de haut les jeunes femmes.

 Pensez-vous que l’on puisse reconnaître une personne dans la façon qu’elle a de jouer un morceau ? Son sexe par exemple, ses origines ? Question que l’on peut se poser aussi dans d’autres arts, comme en peinture.

Tout d’abord, il faut savoir que chaque violoncelle est unique. Donc le son est reconnaissable mais chaque musicien a également son style de jeu unique (comme chacun a sa propre voix) et deux musiciens jouant sur le même violoncelle ne vont donc pas jouer de la même façon! Votre question me fait penser à l’émission de radio ” Carrefour de Lodéon” animée par Frédéric Lodéon sur France musique. Lodéon faisait passer plusieurs versions d’un même morceau et par la suite, un classement était fait par le public pour décider de la meilleure version avec des résultats souvent étonnants”.

Après une année 2020 plombée par la pandémie mais qui ne vous pas empêché de vous exprimer en solo et « entre quatre murs », l’activité culturelle en générale et musicale en particulier est repartie de plus belle dès le printemps 2021. Comment avez-vous vécu cette régénération ?                                                                                                 

Ce fut un véritable plaisir de retrouver la scène, le public et tout simplement le rythme intense de la vie , entre répétions voyages et concerts. Bien que les vidéos et enregistrements ont été très utiles pendant cette période délicate «d’enfermement », ils ne remplacent pas le vrai contact et la musique live .

Avez-vous toujours la crainte que les fenêtres se referment où bien faites vous partie des indécrottables optimistes ?                                                                                                                                                                                                
Je suis une optimiste ! Et je pense que nous avons en nous de grandes capacités d’adaptation et de résilience . Je vais de l’avant et me dis que si la culture a déjà survécu à une pareille crise, alors nous trouverons des moyens encore si il le faut de se renouveler, se faire entendre,voir et écouter car même si le niveau d’exigence global me semble baisser –  faute entre autre à la télévision qui à mon sens tire la culture vers le bas – je crois en l’intelligence et la sensibilité des hommes et des femmes . Je crois que par l’éducation des plus jeunes, tout simplement, l’approche et le goût du beau peut renaître à chaque instant. Il suffit de le montrer, d’en faire part, de façon simple . Pas besoin de tout comprendre et tout savoir pour apprécier l’art et la beauté. Il faut juste apprendre à ouvrir son coeur.
 Tout ce été vous avez sillonné la France et une partie de l’Europe: Italie, Espagne, Belgique, Suisse… De nombreux concerts sont organisés dans des Eglises plus où moins prestigieuses. Y a-t-il une vraie différence concernant la qualité sonore et d’écoute par rapport aux salles ultramodernes  ? Et à quel type d’environnement va  votre préférence ?

Chaque public est différent.La qualité d’écoute aussi. J’aime tout autant les concerts en intimité qui donnent parfois plus de rapprochement avec le public.C’est un partage . Et je m’investis bien sûr de la même façon quel que soit le nombre de personnes présentes dans la salle.Quand à l’acoustique, il faut s’y adapter. Pour moi il est si important de jouer et de se produire car  je pense qu’il faut avoir la capacité et le professionnalisme de s’adapter à l’environnement qui nous accueille.

 Souvent les  entrées sont gratuites dans les concerts donnés dans des Eglises. C’est une façon  en quelque sorte de rendre la musique classique plus accessible à la majorité de la population et d’élargir le plus possible le cercle  des mélomanes ?
Oui, bien sûr c’est au choix et à la possibilité de l’organisateur et du producteur. Cela dépend vraiment des endroits mais certainement parfois cela encourage  le public local à se déplacer. Après, il faut toujours avoir conscience qu’un musicien professionnel ne se produit pas gratuitement (comme dans n’importe quelle profession !) sauf dans un cas de Pro Bono par exemple. Pour devenir musicien professionnel, c’est à dire être capable à très haut niveau de se produire devant un public en tant qu’expert dans ce que l’on fait ( et pour cela nous avons tous commencé la musique étant enfant, je vous laisse calculer le nombre d’années de travail que cela représente ), il faut beaucoup de temps et d’expérience . Même si c’est une passion, c’est aussi un métier. La musique comme l’art en général donne du plaisir, du bien être , et c’est aussi un excellent moyen de communication .
Vous avez également participé à des concerts organisés pour soutenir des causes caritatives voire des intermittents du spectacle  Ce sont des gestes qui vous tiennent certainement à coeur ?
Je suis depuis 2020 directrice artistique et ambassadrice de la merveilleuse association CoCreate Humanity (https://www.cocreatehumanity.org/ ) composées de femmes et d’hommes qui se donnent corps et âme pour aider les personnes travaillant dans le milieu humanitaire. Bien souvent ils sont oubliés et vivent des choses traumatisantes .Et en effet je suis aussi solidaire de mes collègues musiciens , de ceux – quelque soit leur statut-  qui se battent pour travailler avec excellence et professionnalisme.
Au début de cet entretien vous évoquiez  le rôle prépondérant de votre maman dans le choix que vous avez fait de vous consacrez à la musique. Et votre père, comment vit-il ce choix et la belle carrière que vous menez aujourd’hui ?
Mon père a aussi été baigné dans un univers musical  puisque sa maman chantait ( en espagnol !) son père l’accompagnait au piano,  et qu’il a lui même étudié un peu le piano ainsi que ses sœurs. Cela faisait partie de la culture familiale. Aujourd’hui,  je suis la seule de la famille à être musicienne professionnelle et mes parents m’ont toujours soutenu dans mes projets et mes choix , même s’il est parfois difficile de connaître et comprendre réellement le fonctionnement de ce « milieu musical » quand nous se sommes pas à l’intérieur. C’est un réseau professionnel  vraiment à part.
 Vous avez  aussi et toujours un mot sincère et profond pour remercier tous les professeurs qui vous ont accompagnée sur le chemin de l’excellence… C’est important, les bonnes rencontres ?                                             
C’est essentiel ! Nous avons besoin d’être inspirés par des personnalités musicales, et aussi besoin d’être coachés et poussés quand nous sommes jeunes musiciens, avant de pouvoir voler de nos propres ailes. Ce n’est pas un chemin que l’on peut démarrer seul. Alors oui , je suis reconnaissante envers chaque personne qui a partagé son expérience de façon bienveillante avec moi.
Pour vous le parcours a commencé à  l’âge de 7 ans  et a été long et très studieux. Si votre fille était un jour  tentée de vous imiter, l’encourageriez-vous à se lancer dans le bain ?
 C’est une bonne question ! Ma fille qui est encore petite a, c’est certain un sens artistique développé ( je pense qu’elle a entendu in utero déjà beaucoup d’heures de violoncelle malgré elle !). Je souhaite juste comme tout parent, qu’elle trouve son bonheur dans ce qu’elle fera, quoi que cela soit . Je crois, comme je disais plus haut, que le goût du beau, le développement de sa sensibilité, sont des choses essentielles pour vivre de bons moments , quelque soit la façon .
Propos recueillis par Fayçal CHEHAT
(Avec Vesna Fourmanoir )
LES PRÉFÉRENCES  DE JULIE 

Votre livre :  « Soif » d’Amelie Nothomb et « Le Rouge et le Noir », Stendhal

Votre film :  les Noces Rebelles , de Sam Mendes

Votre série:  Le Jeu de la Dame

Votre chanson : Pénélope , de Barbara

Votre ville:  Nice

Votre peintre :  G.Klimt , C.Monet

Votre acteur : Matthias schoenaerts

Votre actrice:  Natalie Portman

Votre parfum : Goutal

Votre sport: équitation

Votre talent caché :  ma résistance

Votre voyage inoubliable: Tahiti ! Et New York …

Commentaires

There is 1 comment for this article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Revenir au TOP