ELLENE MASRI : «  Ma musique fait appel à une émotion indéniablement féminine »

La musique, la Franco-libanaise Ellene Masri est tombée dedans très tôt dans sa vie. Avant de rouler sa bosse et de  devenir une virtuose du jazz, elle a grandi dans un environnement familial où la variété des sons était une seconde nature. Toutes les musiques du monde avaient droit de cité. Musique classique, occidentale et orientale, grandes divas libanaises et égyptiennes, sans oublier les berceuses qu’enfant lui chantait sa maman à la voix aussi douce que divine.

Ce voyage musical initiatique va lui donner des ailes et développer chez elle un sens de la curiosité à entrées multiples. Voyage sur les terres musicales  mais également l’envie d’aller découvrir d’autres territoires et d’autres sources inspirantes. Alors, à elle  le sud de la France, avant un long séjour tellement formateur à Las Vegas, une  courte étape parisienne et enfin un choix récent de s’installer à Miami.

Et ce n’est certainement pas fini pour cette colombe voyageuse. Toujours en quête de nouvelles sensations humaines et artistiques.Comme elle nous l’a confié dans ce passionnant entretien : « Je suis une vraie nomade, Je ne peux pas rester à un seul endroit ». Paroles d’une  artiste au potentiel incroyable et  à la  personnalité tellement attachante. 

MEDITERRANÉNNES : D’abord une question importante : comment avez-vous vécu le premier confinement entre mars et mai 2020  alors que vous séjourniez à Paris?   Et qu’a inspiré à la femme que vous êtes, mais également à l’artiste, cette parenthèse à la fois bizarre et inattendue qui a concerné les trois quarts de  l’humanité ? 

ELLENE MASRI : Ce fut une période difficile, puisque j’ai perdu un être cher, mais aussi très constructive. J’ai cependant continué à travailler. J’ai continué d’enregistrer dans mon home studio. Cette parenthèse m’a inspiré quelques mélodies et aussi une nouvelle manière de voir la vie. Profiter pleinement de chaque jour qui passe. 

Je crois que vous aviez travaillé sur cet    album avec notamment la jeune chanteuse  Senda Boutella ?  Y a-t’elle y posé sa voix ?  Comment et quand l’avez-vous rencontrée? 

J’ai travaillé les arrangements vocaux de son EP. C’est une grande artiste avec une énergie extraordinaire. Nous avons beaucoup aimé oeuvrer ensemble. Je l’ai rencontrée par le biais d’Hedayat Music, un studio à Paris pour lequel je suis coach et arrangeur vocal. Le studio propose une large quantité de services, de la création musicale et de l’enregistrement des voix au développement de l’identité visuelle, du marketing et de la communication des projets. Mon EP lui, est toujours en préparation.

 Il semble aussi qu’avant ça, presque dans une autre vie, vous avez  été chanteuse en featuring avec Booba.

Oui, en 2004. Nous nous sommes rencontrés lors d’une séance d’enregistrement, et il avait aimé ma voix. Il m’a ensuite demandé de collaborer sur son deuxième album solo, « Panthéon ». Le titre de la chanson est “avant de partir”.

En 2014, vous sortez avec succès  votre premier album: « Il a été salué par  des critiques élogieuses dans les médias spécialisés au point où le réputé journaliste londonien  Sam Liddicot a dit de vous :  « Masri ne se contente pas de faire ce que font ses contemporains Jazz/Acoustique: son intelligence, son sens de composition et sa diversité ont des nuances des géants américains… ». C’était réconfortant et encourageant…

Oui, tout à fait, d’autant plus que c’était mon premier album et que je l’avais intégralement produit.Je suis vraiment reconnaissante de toutes ces critiques élogieuses, et de celle-ci particulièrement. Lorsqu’on s’efforce de créer une musique de qualité, et que l’on y met toute son énergie, et celle de tous les autres excellents musiciens qui m’ont fait l’honneur d’y participer, on est heureux de toucher quelques âmes.  

Un autre chroniqueur  a écrit : « Cet album transpire la puissance féminine…» Est-ce qu’il y a une façon particulière de célébrer le jazz quand on est femme ?

On dit que les femmes pensent et agissent avec leurs émotions. Je pense que ma musique fait appel aux émotions, et que celles qui s’en dégagent sont indéniablement féminines.  

 Et puis quatre ans plus tard, en  2018, vous passez à la vitesse supérieure. Surtout, vous rencontrez Steve Nichol  qui vous associe à l’écriture de son nouvel album en solo « Dangerous Romance « , lui qui était resté près de trente ans  hors du circuit. Une révélation!  

Oui, ce fut un réel plaisir et un honneur de collaborer avec Steve Nichol – membre fondateur de Loose Ends, groupe mythique britannique –  un des pionniers de la soul made in UK! Nous avons eu beaucoup de passages radio en Europe et aux Etats-Unis. Le titre s’est retrouvé 3ème dans les soul charts britanniques.

Peut-on dire que c’est un premier grand tournant dans votre carrière . 

Ce titre fait suite à la récompense d’album de la semaine de “Music”, mon premier album auto-produit, en 2014 sur JAZZ FM en Angleterre. Je lui suis reconnaissante d’avoir apprécié mon écriture et interprétation et d’avoir voulu faire de ce titre un single !

 Mais bien avant, des  fans avaient spontanément  adhéré à votre style et décelé votre gros potentiel.  Un  amateur de jazz qui vous avait écouté pour la première fois en 2012 au Chat Noir  à Paris écrivait sur la page Facebook des organisateurs : « Ellene est un talent pur. J’ai décidé de venir la voir sans à priori. Dès les premières notes, j’ai compris que j’allais passer une excellente soirée. Les musiciens qui l’accompagnent sont également bourrés de qualités.  C’est une artiste avec beaucoup d’enthousiasme… »

Je n’avais jamais lu ce commentaire, merci de me le faire partager. Je suis d’ailleurs partie m’installer aux Etats-Unis cette même année peu de temps après une série de showcases notamment au fameux Sunset Club, rue des Lombards à Paris.

En dehors de vos concerts, vous aimez aussi, je crois, partager  la passion  de votre art en intervenant parfois  devant des jeunes qui étudient la musique comme en janvier 2020 à Los Angeles ? 

 Oui bien sûr c’est tellement merveilleux de pouvoir partager avec des plus jeunes ses expériences. Ils ont soif d’apprendre. Vous faites, je pense, référence à la 1500 Sound Academy. C’est une institution pionnière à LA qui s’efforce de former des créateurs de son passionnés grâce au mentorat, à un état d’esprit positif et au développement professionnel.

Elle propose des cours de production musicale, de mixage, d’écriture de chansons, de musique, de gestion d’entreprise, d’entrepreneuriat et de télévision/film aux professionnels en herbe. Le directeur technique de ce studio est mon grand ami et ingénieur de génie, Dave Hampton, ancien directeur technique de Paisley Park, les studios de Prince. 

Baigniez-vous dans un environnement de sons et de chants quand vous étiez enfant puis adolescente  ?

Oui mes parents sont de grands amateurs de Jazz et de musique classique aussi bien occidentale qu’orientale. 

La famille de mon père compte de nombreux musiciens et chanteurs, à commencer par mon grand-père qui était imam et muezzin à la mosquée de El-Mina au Liban. Il chantait divinement bien. Aussi, les voisins avaient l’habitude de se réunir dans la rue pour écouter ma grand-mère chanter, car elle avait aussi une très belle voix. Mon père et mes oncles chantent tous très bien. Certains jouent même du Oud ou de la percussion.

Ma mère aussi me chantait des berceuses le soir avec sa divine voix. Ma soeur Sheliyah, mon ainée de 6 ans, s’est également mise au chant très tôt. A l’âge de 21 ans, elle partait faire sa première résidence a Damas en Syrie au Jazz Café. Elle m’a ouvert la porte de cet univers et après le Bac, je quitte le sud de la France pour intégrer une chorale Soul/R&B “We Are One” et j’ai la chance d’être encadrée et dirigée par son fondateur et chef de choeur Obam Zoe Obianga. Je commence a enregistrer et écrire des chansons. C’est le début de ma carrière d’artiste.

 Les artistes se considèrent souvent comme des citoyens du monde car les sons n’ont pas de frontières. Mais vous, vous  avez plus que tout autre le droit de le revendiquer. Un père Libanais, une mère française ayant vécu au Maroc, une partie de votre vie passée entre le Liban et le sud de la France et les Etats Unis depuis quelques années… 

Oui, en effet! Et j’ai vraiment besoin de tout cela! Je suis une vraie nomade. Je ne peux pas rester à un seul endroit.

Vous chantez en Anglais, mais il y a deux ans,  lors d’un échange via Messenger , vous m’aviez dit que viendra  pour vous le temps de chanter en français… C’est toujours d’actualité ?

Oui. Et je l’ai déjà fait, je n’ai juste pas diffusé ces titres. J’ai plus d’une centaine de chansons dans ma bibliothèque qui n’ont jamais vu le jour.

Quelle partie de votre histoire personnelle vous a inspirée dans le domaine musical ?  Quand on évoque le Liban par exemple on pense d’emblée à l’immense Faïrouz, pour ne citer qu’elle

Ma mère adorait Nat King Cole et Ella Fitzgerald. Nous avions énormément d’album de Jazz a la maison mais aussi de la musique classique (albums de mon père) occidentale et orientale.  Mon amour du Jazz et de l’harmonie tant occidentale qu’orientale m’est donc venu tôt. En matière d’oriental, ma mère écoutait beaucoup Faïrouz et mon père plutôt les grands classiques égyptiens.

D’autres chanteuses ou chanteurs arabes et méditerranéens ont été et/ou sont importants pour vous ?

Oui, j’ai beaucoup écouté George Wassouf, Farid el Atrache, Najwa Karam, Oum Kalthoum, Abdel Halim Hafez, il y en a tellement!

Et l’influence de la musique française  dans tout ça  ?

Immense également. La langue française est une langue latine, et nombreuses sont les mélodies qui le sont aussi. L’adaptation française de “Historia de un amor” de Carlos Almarran par Dalida  « L’Histoire d’un amour » en est un bon exemple. Ma mère me la chantait tous les soirs avant de dormir. J’aime beaucoup Michel Legrand et Jacques Brel.

Liban, France, Maroc :  comment se manifestent, dans votre vie de tous les jours et dans votre personnalité, ces racines méditerranéennes ? 

Je pense qu’elles se manifestent surtout par ma passion. J’aime vivre intensément les choses et je n’hésite pas à me battre pour les choses et les gens que j’aime. Je suis aussi très nostalgique et romantique, ce qui est aussi quelque chose de profondément méditerranéen et latin. 

On suppose que cette diversité est un formidable atout  quand on décide de poser ses valises dans l’Amérique des grands rêves et du brassage sans fin des diversités de la planète…

Oui sans doute, mais en arrivant là bas, j’avais surtout soif d’apprendre leur culture!

Vous étiez  installée à Las Vegas depuis cinq ans. Pourquoi cette ville particulièrement et pas Los Angeles ou New York qui sont aussi de grands creusets de la musique US.

Je ne suis plus basée a Vegas depuis que j’ai mis fin à ma résidence la-bas. Je suis maintenant à Paris et voyage régulièrement aux Etats Unis, surtout Los Angeles et New York.

Vous êtes très attachée à votre famille dont vous êtes si loin. A propos  de Las Vegas, vous m’aviez dit un jour qu’elle ne vous « ressemble en rien ». A-t-elle finit  par vous apprivoiser  ou c’est vous qui avez réussi à le faire ? A moins que cela reste un consentement basé sur l’intérêt mutuel ?

Ce fut une expérience très formatrice. J’y ai appris la résilience. Après tout c’est un désert! Le cactus a plus de chance d’y survivre qu’un bananier…C’est tout de même la première ville en matière de divertissement, et pas n’importe quel divertissement, puis qu’on parle de stars internationales. Je ne regrette absolument pas d’y avoir passé beaucoup de temps et j’y retournerai d’ailleurs prochainement. Peut-être pas pour y vivre. 

Dans un autre échange que nous avions eu en 2016, vous m’aviez laissé entendre que la France ne vous avez pas ouvert suffisamment la porte pour vous donner l’envie de creuser vos sillons … Avec le recul, c’est toujours vrai ?

Je vous expliquais ma philosophie lorsque vous m’avez demandé “Pourquoi pas la France”. Je ne suis pas pour “forcer les portes”. Si je vois une ouverture, j’y vais sans hésiter. J’applique cette même philosophie dans mes relations sociales. Et puis, j’ai toujours voyagé, allant là ou les opportunités se présentent sans trop me poser de questions. De plus, lorsque j’ai sorti mon premier album je vivais déjà aux Etats-Unis. Il n’empêche que j’ai fait mes premiers concerts et enregistrements studio en France, que j’y ai fait beaucoup de concerts, avec le soutien de quelques radios comme Radio Ô et Radio Aligre. J’ai aussi collaboré avec de nombreux artistes français dont Amel Bent, Mickael Youn, Booba… 

 Et dites nous  aussi quelques mots sur les musiciens qui vous accompagnent au quotidien. Vous aimez la continuité et la fidélité où bien êtes-vous adepte de la nouveauté permanente?

Cela dépend de la nature du projet et du style musical mais aussi de mon évolution. J’ai la chance de côtoyer des musiciens extraordinaires. Rien n’est figé. 

Elllene Masri

Ce printemps, alors que vous travailliez dur sur votre  nouvel album, vous avez  posté un beau texte de Khalil Gibran sur la peur. Où il est question de la crainte de la rivière avant de se jeter dans l’Océan.Il vous est arrivé de ressentir cette peur devant un défi que vous  devez  relever

Tout le temps. Et c’est cette peur qui me fait avancer. J‘ai la conviction que le moyen le plus sur de s’en défaire est de l’affronter.

Puisqu’on parle de référence intellectuelle et philosophique, est ce que vous avez le temps de lire. Si oui, quels sont les  auteurs et autrices qui vous inspirent ? 

Je lis beaucoup d’ouvrages sur la psychanalyse et le développement personnel. Ma bible: Les Quatre accords toltèques, philosophie toltèque expliquée par Miguel Ruiz. J’ai aussi adoré votre roman Fayçal, “Celle qui n’aimait pas les hommes”. Vous êtes une inspiration, le féminisme ne doit pas être qu’une affaire de femmes.

Vous êtes auteure, compositrice et interprète et donc en mesure d’assurer de A à Z  la sortie d’un opus, j’aimerais néanmoins savoir ce qui vous rend le plus épanouie : le travail en studio  ou la  scène et les rendez-vous avec votre public? 

Je dirais que les deux sont complémentaires. Une fois le travail terminé en studio sur un titre ou un album, l’enregistrement est fixé sur le support et même si vous l’écoutez plusieurs fois et l’interprétez différemment, ou découvrez de nouveau éléments, c’est le même, rien ne change, seule votre perception est susceptible de changer. 

Lorsque le morceau est joué en live, il est réinterprété, il arrive souvent que ce ne soit pas les mêmes instruments ni les mêmes musiciens que sur l’enregistrement. Mon interprétation différera également. C’est comme donner une nouvelle vie à la chanson. En concert, une fois que vous l’avez joué, il est dans l’air, vous ne le retrouverez plus jamais… C’est toute la magie du live. C’est aussi un moment de communion avec le public. 


Quel est votre programme pour la deuxième partie de l’année dans le cas ou on l’on  renoue avec  une  vie presque « normale «  sur notre planète un peu groggy:

Des shows, des voyages autour du monde, de l’amour, la musique, de la danse, du cinema… Tout çà, quoi! 

Propos recueilis par Fayçal CHEHAT

 

BONUS : J’AIMERAIS QUE VOUS  ME DISIEZ  EN QUELQUES MOTS OU PHRASES CE QUE REPRÉSENTE LA MÉDITERRANÉE DANS VOTRE IMAGINAIRE

Mes racines, la beauté, la générosité, l’abondance, la sagesse et la richesse culturelle. Mais aussi du drame, de l’injustice, de la douleur, des guerres et de la souffrance… J’ai le coeur brisé par la récente tragédie à Beirut, la situation en Syrie, au Yemen et aussi toutes les âmes disparues dans la mer Méditerranée. 

 

LES PRÉFÉRENCES D’ELLENE

Votre film : Matrix

Votre série : Breaking Bad

Votre chanson: You & I, Stevie Wonder

Votre livre: Celle qui n’aimait pas les hommes, Faycal Chehat

Votre ville: Miami

Votre peintre : Dali

Votre acteur : Anthony Hopkins

Votre actrice: Meryl Streep

Votre parfum: Armani Code

Votre sport : Gym

Votre talent caché: Il est caché pour une raison

Votre voyage inoubliable : Mon premier voyage au Liban et la rencontre avec ma famille.

 Crédit photos: Ellene Masri

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