Isabel Coixet:«Plaire tout le temps, c’est mentir»
Isabel Coixet fait partie de la grande famille du cinéma espagnol.Scénariste, réalisatrice et productrice, elle compte à son actif pas moins de seize long métrages. Le premier » Demasadio viejo para morir joven » sorti en salles en 1989 et le dernier « Los tres cuencos » en 2025. Ainsi que quatre courts métrages et cinq documentaires dont le plus récent est « El sostre groc « ( 2022).
Son travail lui a valu six nominations aux Goya entre 1990 et 2004 et de remporter trois trophées. Celui du meilleur scénario adapté pour « Ma vie sans moi « (2004) et surtout un triple Goya du meilleur réalisateur, meilleur film et meilleur scénario pour « Escuchando al Juez Garzon » (2012). Cette pure Catalane, née à Barcelone en 1960, a de fortes convictions politiques et sociales qu’elle n’hésite jamais à défendre sans craindre les retombées négatives sur sa carrière voire sur sa vie. Comme lorsqu’elle a voté non au référendum sur l’indépendance de la Catalogne en 2017.
L’exposition « Du cinéma au collage » inaugurée le 10 juin est ouverte jusqu’au 14 septembre au Musée Thyssen-Bornemisza, à Madrid.
La catalane qui est aussi très appréciée en France où ses films sont vus voire disséqués est une personnalité forte qui se réjouit de la bonne santé du cinéma dans son pays. Comme elle l’a affirmé, il y a un an, dans les colonnes du Figaro à l’occasion de la sortie dans L’Hexagone de son long métrage « Un amor » : »Je pense qu’il vit de belles heures, notamment grâce à la multiplication d’aides aux premiers longs métrages, ainsi que l’implication de la télévision. Je vois aussi que la création se diversifie, avec de nombreux cinéastes – dont beaucoup de femmes ! – qui réalisent des œuvres qui ne sont pas “confortables”. De nombreux noms commencent à s’installer et à être de plus en plus connus, et pas seulement ceux des acteurs. C’est un très bon signe ». Cet été son actualité a été marqué non pas par un film mais une étonnante et originale exposition des collection de 50 collages où elle décrit avec beaucoup de subtilité le monde d’aujourd’hui tel qu’il va avec ses surprises et ses travers. Une exposition autour de laquelle a tourné l’entretien qu’elle a accordé au quotidien madrilène « El Mundo ».
Rebelle depuis l’enfance
« Se rebeller exige un apprentissage et beaucoup d’efforts, surtout savoir reconnaître quand obéir pour transgresser les règles. J’ai beaucoup pratiqué et j’y parviens généralement. Le geste de plaire est particulièrement exigé des femmes. Quel que soit notre âge ou notre apparence, nous sommes tenues d’être gentilles. C’est une chose contre laquelle je me suis rebellée enfant, comme l’obligation de saluer quelqu’un qu’on n’aime pas. Je n’aime pas les embrassades et les câlins sans discernement. Plaire tout le temps, c’est mentir.J’ai soif de câlins de ceux que j’aime. Mais ces effusions constantes… »
Ce nouveau monde où le besoin d’imaginer disparaît
« Avant, on avait des photos du mariage de son cousin, de sa communion, d’une paella familiale… mais pas systématiquement. Personne ne prenait tout en photo comme aujourd’hui. Conséquence : avec tout enregistré, on imagine de moins en moins. Je peux fantasmer sur mon passé à partir des photos de ma famille que je garde dans une petite boîte. Aujourd’hui, cependant, toute cette documentation exhaustive m’empêche de ressentir ce besoin d’imaginer. Et ce n’est pas seulement les photos, mais l’idée que, pour aller dans une rue, il suffit de la chercher sur Google et de la parcourir virtuellement. À tel point que, lorsqu’on se rend physiquement quelque part pour la première fois, on ne découvre rien...
« Je pense que c’est une sorte de pandémie de stupidité généralisée, et je m’inclus ; ne croyez pas que je me place ailleurs. Parfois, je me demande : pourquoi ai-je perdu tout l’après-midi à regarder des maisons que je ne pourrai jamais m’offrir ? »
(Propos extraits de l’interview accordée au coeur de cet été au quotidien espagnol El Mundo )
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